B - Collaboration entre interprète et compositeur

Si le répertoire pour violoncelle seul met l’interprète dans une situation de face à face avec son instrument, il représente aussi un lieu privilégié pour une relation plus étroite encore entre le compositeur et son interprète. Cela a déjà été dit, la pièce pour instrument solo favorise sans aucun doute tout particulièrement la collaboration entre interprète et compositeur. Celle-ci peut en fait se situer à différents stades de la réalisation : au moment de la composition même de l’œuvre, au niveau de sa conception ou bien de sa notation 571 , et bien sûr au moment du travail instrumental et de l’interprétation.

Même si ZIMMERMANN se défend d’avoir sollicité l’aide d’un violoncelliste pour écrire sa Sonate 572 , ou même si on sait que XENAKIS a cherché seul, en utilisant lui-même un violoncelle, pour créer le riche matériau sonore développé dans Nomos alpha, on a pu constater aussi que certaines œuvres étaient véritablement nées d’une étroite collaboration entre le compositeur et l’interprète (voir par exemple One 8 de John CAGE).

Le compositeur revendique bien sûr le plus souvent sa pééminence dans la conception même de son œuvre, mais il sait aussi que son pouvoir d’imagination est parfois sans limites et peut donc éprouver aussi le besoin de s’assurer d’une possible réalisation de ce qu’il a conçu. C’est ainsi que l’échange avec l’instrumentiste peut s’avérer réellement fructueux pour repousser des limites jusque là admises comme infranchissables.

Mais c’est bien entendu surtout au moment de la création d’une œuvre que cette collaboration se révèle la plus nécessaire, et aussi la plus enrichissante pour l’interprète, comme l’a bien expliqué Frances Marie UITTI à propos de son travail avec SCELSI pour créer sa Trilogia : “ ‘En improvisant et en répétant avec lui, j’ai commencé à comprendre le sens particulier de la liberté dans sa musique ainsi que la qualité de son qu’il recherchait’. ” Cette collaboration a d’ailleurs été à double sens et la violoncelliste affirme aussi avoir “ amélioré et raffiné l’interprétation ” de ces pièces et parfois même avoir “ participé à la révision de certains passages ”. 573

Ce phénomène de resserrement des liens entre le compositeur et l’interprète, que favorise incontestablement la pièce pour instrument solo, correspond à notre sens à un besoin ressenti à notre époque d’une manière assez cruciale. Le compositeur a quitté depuis bien longtemps sa tour d’ivoire, mais depuis les années soixante-dix, peut-être plus que jamais, il éprouve un très fort désir de se rapprocher tant de son public que de ses interprètes. L’éclosion de petits ensembles instrumentaux dévoués à la cause de la musique de notre temps en est une preuve, au même titre que le développement du répertoire pour instrument solo.

Notes
571.

Cf. RIGONI, Michel, “ Entretien avec François Paris ”, les Cahiers du C.I.R.E.M. n°30-31, décembre 1993-mars 1994, p.128 : “ Ici, le travail avec l'interprète a surtout porté sur la présentation de la partition. J'ai souvent travaillé pour cette pièce avec quatre portées, chaque portée correspondant à une corde. Cette écriture, si elle est très pratique pour le compositeur, se révèle totalement inefficace pour le violoncelliste. D'un autre côté, je tenais d'un point de vue musical à ce que certaines lignes puissent être vues immédiatement par le musicien, nous avons donc travaillé ensemble à chercher des solutions qui ont pu satisfaire les deux points de vue. ”

572.

Cf. ZIMMERMANN, Bernd Alois, “ De la signification nouvelle du violoncelle dans la nouvelle musique ”, op. cit., p.69 : “ Cette œuvre fut également composée sans l’aide d’un violoncelliste en ce qui concerne les possibilités de jeu. Les différentes indications et les doigtés ajoutés par Siegfried Palm lors de l’impression de l’œuvre, le furent après sa composition, sans qu’aucune modification ou changement n’ait dû être apporté ; ce devrait être au compositeur de déterminer la fonction musicale et technique d’un instrument. ”

Ce que l’interprète confirme lui-même dans ses entretiens. Cf. LÜCK, Rudolf, Werkstattgespräche mit Interpreten Neuer Musik, op. cit., Köln, Musikverlage Hans Gerig, p.89 : “ Aber ich sagte Ihnen schon, dass ich nie auf die Schreibweise eines Komponisten eingewirkt habe, und ich spiele durchaus nicht nur Stücke virtuoser Art. ” [“ Mais je vous ai déjà dit que je n’ai jamais exercé une quelconque influence sur la manière de composer d’un compositeur, et je ne joue absolument pas que des pièces de virtuosité. ”]

573.

Cf. commentaire de Frances Marie UITTI dans le livret du CD Etcetera KTC 1136.

Et elle ajoute : “ J’ai eu beaucoup de chance de le rencontrer et d’avoir pu travailler auprès de lui. Bien que je joue aujourd’hui ces pièces de manière quelque peu différente, je suis très attachée aux enregistrements présentés ici et qui furent effectués sous sa supervision. J’espère qu’ils reflètent un peu de l’atmosphère intense et magique de notre travail en commun. ”