Le processus de décentralisation de l’Etat en Colombie prend une dimension conséquente seulement dans les années quatre-vingt (voir Annexe No. 1) : différentes mesures dans les domaines politique, économique, juridique et social, se succèdent durant une décennie. Avec la constitution de 1999, il prend une nouvelle ampleur et un nouvel essor. Malgré cela, le degré de décentralisation souhaité, forcément associé à l'organisation d’un Etat moderne, reste encore à acquérir.
Dans le domaine de la santé, cette affirmation est aussi valable. On verra par la suite les éléments de ce processus de décentralisation et ses rapports avec les principales réformes du secteur de la santé.
Il faut comprendre qu’une des caractéristiques les plus importantes dans le fonctionnement politique et administratif de la Colombie (annexe No.1) reste encore le fort pouvoir détenu au plan local, par un certain type de politiciens et leurs appuis économiques. Cet état de fait atteint inévitablement le secteur public, toute l’administration de l’Etat et plus particulièrement celle des localités. Aujourd’hui les maires sont les responsables de la santé dans leur municipalité.
Dans la notion de décentralisation, il faut distinguer : la décentralisation territoriale, qui fait référence au passage des responsabilités et des ressources du niveau national au niveau des départements, districts et municipalités 14 , et la décentralisation institutionnelle, laquelle fait référence à l’autonomie administrative et financière des hôpitaux.
La décentralisation tire ses principales caractéristiques de la législation qui régule les différentes formes du fonctionnement des administrations. Néanmoins et dans le cas de la santé, plus particulièrement, la normativité est contrainte d’exprimer le choix d’un quelconque modèle de soins, voire modèle de santé, avec ses supports scientifiques et techniques.
N’importe quelle vision technique d’un modèle, construit autour d’une certaine conception de la santé et de supports scientifiques, doit avoir simultanément un schéma administratif et une structure financière, pour qu’elle puisse être opérationnelle. L’expérience a montré, à maintes reprises, qu’un modèle techno-scientifique de la santé se trouve en face d’un modèle administratif et financier incompatible avec lui.
Les établissements de soins font partie des systèmes de santé, lesquels développent quatre fonctions de base (Frenik, Londoño et al. 1998) : Modulation : en plus de la régulation, il s’agit de définir, implanter et suivre les règles du jeu du système de santé, de lui donner des objectifs et des intentions à partir du management stratégique, tout en cherchant à équilibrer les différents intérêts des acteurs. Financement : il concerne l’allocation de ressources financières des entreprises et des ménages, ainsi que l’allocation de ressources des fonds publics et privés. Articulation : à partir de l’affiliation des usagers au système, elle établit la relation entre les ressources financières et la prestation de services. Prestation : il s’agit de l’offre effective de services de soins dans une institution donnée, laquelle développe un processus de production spécifique pour offrir ses services et ses produits. A partir de ces quatre fonctions de base et en définissant les différentes formes, comment ce service peut-il se développer ? On identifie trois types de systèmes de santé : le public, le privé et la structure pluraliste. Le modèle public unifié : l’Etat se charge du financement et fournit les services de soin directement au sein d'un système unique intégré verticalement. Dans l'absolu, ce système assure la couverture de la population et élimine la liberté de choix, de même la possibilité d’avoir accès à des technologies de pointe. Le modèle privé atomisé : le financement du système est assuré par les usagers et par plusieurs entités privées d’assurances vers tous les établissements de soins, sans possibilité d’intégration verticale de ces deux fonctions. Dans certains cas, on trouve un mélange de financement public et de participation du secteur privé. La séparation des fonctions est réalisée par la contraction des services de soins (exemple du Brésil). La structure pluraliste : c'est une approche nouvelle pour la prestation de soin, qui a été développée en Colombie. On parle de “ pluralisme ” pour y signaler que le secteur public n’a pas le monopole, mais en même temps qu’il n’y a pas d’atomisation dans le secteur privé. La “ structuration ” cherche à empêcher l’autoritarisme et l’excès de contrôle de la part de l’Etat en même temps que le manque de règles du jeu pour maîtriser le marché. Son expression a été la loi 100. |
Le Système National de Santé (SNS).
Le SNS (loi 9 de 1973 et décret 056 de 1975), est créé en 1975 et fait avancer de façon importante l’organisation du secteur de la santé en Colombie. Il propose une clarification conceptuelle importante en établissant la différence entre l’attention aux personnes et l’attention à l’environnement. Pour la première fois, il existe différents niveaux et différents degrés de complexité, lesquels sont articulés dans un réseau de prestations de soins.
Dans ce modèle, on rencontre de grandes difficultés d'application, dans la mesure où n’ont pas été pris en compte les aspects du développement de la gestion dans les niveaux opérationnels, ni la qualité, ni la couverture, ni même l’efficacité.
L’évaluation du SNS, réalisée quinze ans après, montre les aspects les plus importants de ces concepts et en même temps les éléments qui n’ont pas trouvé le développement nécessaire : 15
L’administration publique colombienne développe différents efforts de décentralisation à partir de 1983. A partir de 1988, l’Organisation Panaméricaine de la Santé –OPS- promeut la création des Systèmes Locaux de Santé –Silos-, organisés en Colombie sous la forme des Système Municipaux de Santé –SMS-.
De façon progressive, la décentralisation dans le domaine de la santé prend différentes expressions dans la législation du pays : le décret 77 de 1987, la loi 10 de 1990, la loi 60 de 1993 et finalement la loi 100 de 1993. Malgré tous ces efforts, le processus n’a pas rencontré le succès escompté, en raison de multiples problèmes d’ordre politique, financier, institutionnel et législatif : beaucoup d’intérêts pas toujours conciliables, différentes sources de pensée autour des problèmes de la santé, des acteurs en transition permanente.
Dans la pratique, on trouve différents modèles de décentralisation, différentes conceptions, un peu de confusion et même des efforts vers une nouvelle centralisation.
Ces idées de décentralisation trouvent une expression initiale de grande ampleur au moment de la décentralisation des investissements en infrastructure (une partie de l’aménagement du territoire). La loi 12 de 1986 signale spécifiquement la responsabilité des municipalités de construire, doter et maintenir les centres de soins et les hôpitaux locaux. Pour cela elle détermine le transfert des ressources du IVA (en France le sigle correspond à la TVA). 16 Ces actions ont réussi de façon partielle et limitée, principalement à cause des aspects politiques et administratifs.
La loi 10 de 1990 et la loi 60 de 1993.
Ultérieurement la loi 10 de 1990 (“ Por la cual se reorganiza el Sistema Nacional de Salud ”, elle réorganise le SNS ) a donné lieu à la décentralisation du fonctionnement du secteur de la santé. Elle ordonne qu’en priorité ce soit aux municipalités qu'incombent la direction et la prestation (l’offre effective du service de soins) de services du premier niveau d’attention de santé. 17 , c'est-à-dire des hôpitaux locaux ainsi que des différents centres et postes de santé. 18
La loi 10 recherche la mise en ordre de l’offre des services de santé, dans la mesure où elle les décentralise vers les départements et les municipalités. Ses dispositions les plus importantes peuvent être présentées ainsi :
Néanmoins, la loi ne signale pas les différences et les responsabilités que cela entraîne, lorsqu’il s’agit de la santé publique, donc de l’impact sur les collectivités (avec une prédominance de l’offre des services) ou lorsqu’il s’agit de l’attention aux individus (avec un impact sur les familles et les individus, régulé principalement par la demande de services). Cet aspect est d'une grande importance lorsque qu’il s’agit de la réorganisation du système de santé, comme on le verra plus loin.
La loi 10 de 1990 détermine une période de cinq années pour développer la décentralisation, commençant par les départements les plus avancées administrativement, tout en s’appuyant sur les transferts de ressources fiscales aux départements et aux municipalités. Néanmoins, étant donné les problèmes liés au faible développement institutionnel, la loi impose plusieurs réquisits pour opérer le transfert des ressources, à la recherche de la meilleure utilisation de celles-ci (empêcher son utilisation pour d'autres finalités). Ainsi elle requiert par exemple :
Malgré les intentions expresses de la loi, la décentralisation rencontre des obstacles conséquents. Les municipalités et les départements accomplissent les dispositions de la loi de manière tout à fait formelle sans aboutir à de véritables transformations. Cette situation exprime les contradictions et les intérêts opposés pour la conquête du pouvoir sur les ressources financières au plan municipal ou départemental. 19
Le moment est venu en Colombie, au début des années 90, pour une grande réforme : La Réforme de la Constitution de la République, et avec celle-ci une réelle volonté d'approfondir le processus de décentralisation. Mais dans le secteur de la santé, on continue dans la perspective des grandes réformes : d’abord la loi 60 de 1993 suivie de la loi 100 de la même année.
Dans le souci de développer la décentralisation, et par ce biais le secteur de la santé, la loi 60 introduit de nouvelles exigences pour les départements et les municipalités :
D’autres réquisits sont venus s’ajouter aux différents aménagements de la loi. Ceci a été interprété comme étant plus un obstacle à la décentralisation qu’un moyen pour réussir le développement technique et institutionnel du secteur.
Déjà dans le pays avait commencé à se développer l’idée de l’urgence de mettre en place un modèle de gestion hospitalier afin de moderniser le secteur et de le faire progresser. On trouve, dans les rapports de la Présidence de la République, des références au problème de la gestion des hôpitaux :
‘“ [...] Un modèle de gestion hospitalière, dans lequel l’expérimentation que la Colombie est en train de mettre en place, constitue une innovation. (...) que l’administration des hospitaliers puisse fonctionner avec une connaissance détaillée de la réalité financière, des coûts, des budgets et de tous les autres indicateurs pour la prise des décisions. Cela est valable, et pour la gestion interne et pour mesurer l’efficacité individuelle des établissements, par niveau de complexité, par région, et pour tout le système hospitalier... ”. 20 ’Plus tard la loi 60 de 1993 apporte des précisions à ce sujet, particulièrement à propos de l’autonomie des établissements de soins. Malgré tous les efforts et toutes les idées, c'est seulement avec la loi 100 de 1993 que ces projets commencent à voir le jour. Effectivement celle-ci précise les échéances au terme duquel les hôpitaux devront se transformer pour se conformer aux dispositions de la loi : ils auront alors l’obligation de devenir des Empresas Sociales del Estado.
Un des éléments fondamentaux de la loi 60 de 1993 a été la création du “ Fondo Prestacional ” du secteur de la santé. 21 C’est en quelque sorte un Fonds d’allocations et de pensions. Cette décision a grandement contribué à la stabilité des institutions du secteur, particulièrement au regard des relations avec les fonctionnaires et de leurs attentes en matière de prestations sociales 22 .
Cependant aujourd’hui, le problème originel persiste. Sans exposer ici l’analyse de cette problématique, signalons seulement que lors de la grande réforme de la sécurité sociale en Colombie, la gestion des fonds de retraite et des cesantias a été mise en concurrence. Désormais, ils sont gérés par les institutions publiques et par les entreprises privées.
Dans l’annexe No.1 est présentée la structure politique et administrative de la Colombie.
La Previsora S.A., “ El problema de los hospitales ” dans “ Asi estamos cumpliendo ”, Virgilio BARCO, Tome X, Bogota, 1988. Citée dans Jaramillo 1997.
Le IVA est la taxe à la valeur ajoutée. La loi 12 détermine le transfert de ces taux aux municipalités, d’un montant allant de 25% à 50%, de façon progressive entre les années 1986 et 1992. Elle constitue les recettes les plus stables et les plus régulières du secteur.
Les différents niveaux de complexité dans la prestation des services de santé seront établis postérieurement avec plus de précision dans la loi 100.
Les Centres et les Postes de Santé représentent les unités les plus proches des usagers dans le milieu rural mais aussi dans les concentrations urbaines –dans tous les quartiers, mais particulièrement dans les plus pauvres-, et ce pour le niveau qui réalisent les premiers soins, ainsi que la prévention et l’éducation de la population par rapport à la santé.
La figure du “ gamonal ” est une expression particulière des pouvoirs locaux en Colombie. Dans l’annexe No. 1,on trouvera une explication de son fonctionnement.
Barco Virgilio, “ El problema de los hospitales ”, dans la série “ Asi estamos cumpliendo ”, tome X, Presidencia de la Republica y La Previsora S.A., Bogota, Julio 1988.
Il s’agit d’un fonds pour le financement des différentes obligations du secteur de la santé vis a vis des ses fonctionnaires et notamment les droits de retraite et les cesantias.
On montrerait dans le chapitre 3, l’importance de cet aspect.