6.1 La recherche en gestion et la démarche méthodologique.

Une des conclusions d’Avenier (1989) à propos de la recherche en management stratégique et des « méthodes de terrain », servira de cadre à notre présentation du choix méthodologique : ‘ « La recherche de terrain est donc possible dans le domaine du management stratégique ; mais quelle que soit la méthode utilisée, une telle recherche ne peut avoir d’intérêt que si elle est conduite en conjonction et même en interaction avec une recherche conceptuelle ». ’

L’intérêt du sujet choisi :

Dans le contexte du développement économique récent de la Colombie, la gestion des entreprises, y compris celle des entreprises publiques, est devenue un sujet de première importance. Depuis le processus d’ouverture économique, qui s’est accéléré dans le courant des années 1991-1993 ¹¹¹ , le sujet de la gestion des entreprises dans une perspective de productivité, la qualité et la compétitivité ont pris une place considérable. Malheureusement, cela est resté dans la plupart des cas au stade de l’identification d’une problématique, n’ayant pas trouvé son expression en actions ou en recherches spécifiques.

De remarquables études ont été réalisées sur l’origine de l’administration en Colombie (Mayor 1990) et sur les problèmes liés aux conditions de travail dans l’industrie (Dambois ), mais le sujet de la gestion en elle-même reste très peu développé. Hormis quelques études déjà évoquées (Interman 1995, Weiss 1994, 1997), on ne trouve pas d’études importantes centrées sur la gestion des entreprises ; il n’existe pas non plus d’études à propos du management stratégique dans les entreprises colombiennes. C’est une approche tout à fait nouvelle de la recherche locale. Cette affirmation est d’autant plus valable pour ce qui touche au domaine de la gestion publique.

La conjoncture, issue de la réforme du secteur de la sécurité sociale et particulièrement du secteur de la santé, avec les transformations que cela suppose dans le domaine de la gestion des ESE, offre un large espace de réflexions et de recherches. La loi impose le changement des structures, mais aussi des méthodes de gestion. La vision et les objectifs à long terme de la loi 100 font prévoir les besoins d’incorporer, (du moins des analyses stratégiques à la gestion des institutions dans le secteur), sinon clairement des approches au management stratégique.

La question de la gestion des établissements de soins dans le secteur public a rapidement attiré notre attention pour plusieurs raisons :

• l’importance stratégique de la santé dans le contexte économique du pays,
• les possibilités de contribuer à la formulation et au déploiement d’éléments de gestion permettant d’atteindre les objectifs de la réforme du secteur de la santé,
• les exigences de la loi, notamment dans le domaine de la gestion et de la qualité,
• le manque absolu d’études sur le sujet spécifique de la gestion dans le secteur,
• les conditions favorables pour l’introduction de techniques modernes de gestion au sein des entreprises de l’Etat,
• les possibilités d’encadrement théorique des pratiques de gestion mises en place lors de l’application de la loi, mais aussi à partir de l’initiative des acteurs,
• l’opportunité de construction d’outils de gestions particulièrement dans les rapports entre les divers intervenants,
• les possibilités de déploiement de nouvelles méthodologies de terrain.

Nous avons alors décidé de tester la validité, l’opportunité et la valeur d’une recherche sur le sujet. La question a été posée à d’autres chercheurs et universitaires, à des spécialistes du secteur de la santé, des consultants et différents dirigeants d’établissements de soins (voir annexe No. 14).

Les réponses ont été unanimes tant sur la validité que sur l’opportunité et la valeur de la recherche. Leurs opinions ont été différentes et partagées à propos des objectifs de la recherche et de leurs résultats. L’importance accordée aux aspects pratiques d’une application a été plus forte que celle accordée à la réflexion théorique et au souci de rendre intelligible les phénomènes en cours.

L’intérêt sur le plan académique est évident pour tous, mais l’intérêt pour l’entreprise et pour la pratique de la gestion l’emporte (au moins dans les réponses de nos interlocuteurs). Nous avons décidé de risquer une approche qui rende compte de deux besoins : une approche de terrain des pratiques des dirigeants et des entreprises face au nouveau défi, et en même temps une approche théorique des pratiques entrepreneuriales, qui ont eu lieu dans les faits.

La recherche en gestion.

Les discussions entre positivisme et constructivisme peuvent encadrer notre démarche. Nous sommes de l’avis de Le Moigne (1993) que dans le domaine des sciences de la gestion une nouvelle épistémologie est à construire. Les différentes positions à cet égard partent régulièrement de leur attachement au positivisme (le chercheur est en dehors de son objet, donc il est muni d’un regard objectif), ou bien au constructivisme (le chercheur fait partie de son objet d’analyse, donc il le transforme à partir de son action).

La recherche en management stratégique pose de véritables réflexions scientifiques, qu’il faut encore surmonter : ‘ « Dans tous les cas, les difficultés rencontrées pour valider des hypothèses ou des résultats de recherche au moyen des travaux de nature véritablement expérimentale devraient nous inciter à recourir plus fréquemment à la controverse, c’est-à-dire à des processus contradictoires qui permettent de construire progressivement des connaissances plus solides, car soigneusement discutées et forgées dans l’opposition de points de vue critiques d’intention scientifique. »(Paturel et Saval 1999). ’

Les différentes publications récentes sur le sujet de la recherche en gestion (Huberman et Miles 1991, Usunier et al. 1993, Marshall and Rossman 1995, Wacheux 1996) offrent un éventail des méthodes et des outils de la recherche qu’on aurait fort intérêt à connaître pour se lancer dans l’innovation des méthodes de la recherche.

Notre recherche sur les établissements de soins se situe dans le champ de la recherche-action. Madame Avenier (1989) a fait un remarquable tableau synoptique des méthodes types de recherche de terrain (Tableau No. 6.1).

‘« Une recherche-action a généralement pour objectif de rendre intelligible des phénomènes par et pour l’action. (...) ...dans une recherche-action elle (l’attitude du chercheur) est résolument transformative, même lorsque l’objet initial de l’intervention est le diagnostic d’une situation. »(Avenier 1989).’

Dans la mesure où la recherche privilégie les données qualitatives, nous avons eu largement recours à la méthode dite de triangulation. C’est-à-dire la vérification des données d’un même phénomène, par différentes méthodes(Allix-Desfautaux, 1998). Nous avons fait une étude détaillée des documents de toutes les ESE intégrées dans la recherche, mais aussi des entretiens avec les dirigeants, un travail de groupe avec les responsables et les fonctionnaires, ainsi que diverses activités avec des experts et des consultants indépendants

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*source: Avenier , 1989

Les outils même, dont on s’est servi, conduisent forcément à une triangulation, puisqu’ils ne se contentent pas de poser la question à propos d’un sujet ou d’une action en particulier. La méthode choisie part de la question jusqu’à la vérification de la réponse dans les faits ; par exemple, répondre que l’hôpital a un plan de développement nous emmène à nous demander s’il est formalisé dans un document, puis à le vérifier dans les faits, c’est-à-dire avec les fonctionnaires concernés, voir s’ils le connaissent ou non, et ainsi de suite.