Caractéristiques générales des langages spécialisés

Les langages spécialisés ainsi définis, se différencient les uns des autres en fonction de la matière traitée, mais également en fonction des différentes situations de communication auxquelles le spécialiste est confronté et qui déterminent ses choix linguistiques. Cela dit, malgré les nombreuses différences que cette définition permet d'établir entre les différents langages, des critères fondamentaux existent, qui sont à la base des traits linguistiques de tout langage spécialisé. De nombreuses recherches ont porté sur cette perspective, mais nous ne citerons que deux études permettant d'expliquer certains traits du langage juridique italien.

Le travail de J.C.Sager, D.Dungworth et P.F. McDonald63 est une étude interprétative des traits linguistiques de l'anglais en tant que langage spécialisé. Les auteurs affirment que les critères fondamentaux à la base des choix lexicaux et stylistiques, pour que la communication spécialisée atteigne son but, sont deux : la précision et la concision. Ils soutiennent également que, lorsqu'il y a conflit entre eux, c'est un troisième critère qui intervient et joue le rôle de l'arbitre : la propriété des termes utilisés. Toutefois, il s'agit d'un paramètre extrêmement flou64, difficile à cerner. L'équilibre entre ces trois critères est la condition nécessaire, d'après ces chercheurs, pour que la communication spécialisée soit vraiment efficace. Ce point de vue apparemment banal est pourtant digne d'être relevé : il s'appuie sur des concepts très clairs. En outre, cette étude a le mérite d'appréhender le langage comme le résultat de choix et de décisions au niveau sémiotique global. Elle paraît néanmoins limitée car, ainsi que nous le verrons dans le cadre de l'étude du langage juridique, les critères qui déterminent les différents choix sont plus nombreux et, surtout, ils ne peuvent que différer en fonction du langage spécialisé concerné. Qui plus est, la propriété des termes n'est pas toujours «l'arbitre désigné».

La deuxième étude, signée L.Hoffmann65, a l'avantage d'être plus précise et de nuancer les critères déjà cités. En effet, le chercheur dresse une liste comptant onze caractéristiques :

  1. précision, simplicité et clarté,
  2. objectivité,
  3. abstraction,
  4. généralisation,
  5. densité d'information,
  6. brièveté,
  7. neutralité émotionnelle,
  8. absence d'ambiguïté,
  9. impersonnalité,
  10. cohérence logique,
  11. usage de termes techniques précis, de symboles et d'images.

Certaines de ces caractéristiques peuvent se superposer, telles que la neutralité et l'impersonnalité ou la clarté et l'absence d'ambiguïté. Qui plus est, chaque réalisation d'un langage spécialisé peut posséder l'une de ces caractéristiques de façon différente : du niveau le plus bas au niveau le plus élevé. Par exemple, l'exposé d'un technicien peut être clair, mais si des formules mathématiques sont utilisées pour illustrer le message, le niveau de clarté atteint est maximum ;les formules mathématiques permettent de lever toute ambiguïté.

Par ailleurs, bien que ces traits soient communs à la plupart des langages spécialisés, il est rare qu'un texte spécialisé les présente tous66. Leur poids est différent selon le langage spécialisé concerné. Une analyse détaillée permet de définir et d'établir un classement selon l'importance des critères fondamentaux que se donne chaque langage spécialisé.

A la différence de l'étude de Sager-Dungworth-McDonald, qui souligne le rôle de la propriété des termes en tant que norme dominante en cas de conflit entre les différents critères, L.Hoffmann ne prend pas en compte cet aspect, fondamental à nos yeux, qui permet de comprendre la logique de fonctionnement d'un langage spécialisé. En effet, il néglige l'analyse des éventuels conflits qui peuvent surgir entre différents critères et, par conséquent, il ne met pas en évidence quelles sont les priorités du spécialiste. Ainsi, la nécessité d'un discours sans ambiguïté peut se heurter à l'exigence de la concision souhaitable. Ce sont les exigences de la matière traitée, de la situation de communication ou du texte qui dictent les priorités à respecter. Il paraît alors fondamental de hiérarchiser les différents critères : ils ne peuvent pas tous avoir le même poids !

Il est, notamment, cohérent de considérer comme traits fondamen-taux de tout langage spécialisé la précision et la neutralité émotionnelle. 67 En effet, tout terme d'un langage spécialisé correspond directement à un signifié, afin d'éviter les erreurs et les imprécisions qui caractérisent le langage courant. De même, chaque mot utilisé n'a pas de connotations émotionnelles, ni de valeur dénotative. Si l'on reste par exemple dans notre domaine, le terme omicidio (meurtre) dans le langage courant est associé à des images de sang, de cruauté, de violence… En droit, ce terme indique exclusivement l'atteinte portée à la vie humaine.

L'étude de L.Hoffmann a cependant le mérite de présenter une récapitulation synthétique et générale des différents critères qui vont nous servir de base pour expliquer et différencier les choix du rédacteur juriste. Il a paru important de considérer l'opinion des auteurs qui se sont intéressés de près ou de loin à cette problématique fort complexe ; les réponses données permettent de découvrir les mécanismes internes à chaque langage.

Notes
63.

J.C.Sager, D.Dungworth, P.F.McDonald, English Special Languages, Wies-baden, 1980, p.323.

64.

Cf. ibid., p.316.

65.

L.Hoffmann, «Seven roads to LSP», in : Special Language - Fachsprache, VI, 1-2, Tübingen, 1984, pp.28-38.

66.

Cf. M.Gotti, op.cit., 1991, pp.13-15, et A.A.Sobrero, op.cit., 1993, pp.243-244.

67.

Cf. A.A.Sobrero, op.cit., 1993, pp.243-244.