La concision, définie comme l'une des caractéristiques fondamentales des langages spécialisés, est recherchée dans le vocabulaire et dans la syntaxe. Le spécialiste, utilisant le vocabulaire de sa discipline, opte pour le terme le plus court possible. Ce problème a été déjà traité en détail par la plupart des études portant sur les langages spécialisés205 en général. Ici, il s'agit d'illustrer brièvement, par des exemples du corpus, les procédés mis en oeuvre par le juriste pour parvenir à une formulation synthétique dans la création de nouvelles unités sémantiques.
Tout d'abord, la juxtaposition d'un substantif à un autre pour créer un nouveau terme sans utilisation d'éléments de liaison. Il s'agit d'un procédé couramment utilisé par les spécialistes de toutes les disciplines désireux de créer des termes propres à leur metier. Le juriste ne fait pas exception, et l'on citera quelques mesures législatives pour s'en rendre compte :
La juxtaposition permet au juriste de définir de façon concise une réalité complexe qui nécessiterait de longues explications. L'analyse du corpus permet ainsi d'affirmer que c'est la juxtaposition210 d'un substantif et d'un adjectif qui constituent la combinaison la plus courante. Les exemples sont nombreux et il convient d'en citer quelques-uns pour constater la productivité de ce procédé dans le langage juridique : assegno alimentare (pension alimentaire), detenzione cautelare (détention provisoire), rendita vitalizia (rente viagère), scrittura privata (acte sous seing privé), sequestro conservativo (saisie conservatoire), sequestro immobiliare (saisie immobilière), servitù prediale (servitude prédiale). Si, dans la série présentée, c'est le déterminant qui suit le déterminé, l'autre possibilité est également constatée. Comme dans la langue courante, la place de l'adjectif devant le substantif qu'il détermine n'est pas dénuée de sens. Dans la combinaison, <adjectif + substantif>, l'apport de l'adjectif dans la constitution d'une nouvelle entité sémantique est fondamental. Citons, à titre d'exemple : alto tradimento (haute trahison), buon costume (bonnes moeurs), buona fede (bonne foi), nuda proprietà (nue propriété), patria potestà (puissance paternelle), tacita riconduzione (tacite reconduction). L'usage de l'adjectif impose l'accord avec le substantif concerné, ce qui permet de rendre plus évidents les liens sémantiques entre les deux éléments. L'économie des moyens lexicaux utilisés unie à la précision de la formulation permet d'expliquer la préférence accordée par le juriste à ce procédé de création lexicale.
Sans porter atteinte à la précision, la concision est également obtenue grâce à l'usage des sigles. Citons à ce sujet quelques exemples utilisés pour désigner des figures juridiques : C.S.M. pour Consiglio Superiore della Magistratura (Conseil supérieur de la magistrature), G.I.P. pour Giudice per le indagini preliminari (Juge chargé de l'enquête préliminaire), G.U.P. pour Giudice dell'udienza preliminare (Juge chargé de l'audience préliminaire), P.M. pour Pubblico Ministero (le ministère public), T.A.R. pour Tribunale Amministrativo Regionale (Tribunal Administratif Régional). Les exemples mentionnés sont, pour la plupart, utilisés comme des mots véritables, comme le montre ce passage tiré de la presse :
‘Le indagini, coordinate dal Pm Alessandro Nencini e condotte dal Nucleo di polizia tributaria della Guardia di Finanza (…)211.’Les textes normatifs sont eux aussi désignés par des sigles tels que D.L. pour Decreto legge, D.Lg. pour Decreto Legislativo, D.M. pour Decreto Ministeriale, D.P.R.pour Decreto Presidente della Repubblica.
Les sigles cumulent le double avantage d'être précis et concis, ce qui est très important pour le juriste. Néanmoins, ils constituent une véritable barrière pour le profane, qui n'est pas censé connaître ces abréviations. Ceci dit, comme l'analyse du langage juridique en situation nous le montrera, le destinataire final n'est pas le souci prioritaire du juriste.
Le dernier procédé que nous souhaitons mentionner ici est l'usage des substantifs déverbaux. Les linguistes212 italiens qui se sont intéressés aux langages spécialisés évoquent, quant à la formation du lexique propre à chaque spécialité, la fréquence de substantifs déverbaux. Est-ce le cas dans le langage juridique ? Certes, il est aisé de constater la présence de cette catégorie de termes dans les textes examinés. Ainsi, dans Compravendita 27/11/1998 (contrat de vente immobilière) : rinunzia (de rinunziare), consenso (de consentire), saldo (de saldare), conferma (de confermare) ; dans le contrat A utilizzarsi exclusivamente all'esterno dell'Unione Europea (à utiliser exclusivement à l'extérieur de l'Union Européenne) : ritiro (de ritirare), rimborso (de rimborsare), modifica (de modificare), revoca (de revocare), deroga (de derogare), rispetto (de rispettare), conferma (de confermare), rimedio (de rimediare) ; dans la sentenza (jugement) 27/11/1990 : rimborso (de rimborsare), rigetto (de rigettare), regresso (de regredire), subentro (de subentrare), recupero (de recuperare) dans la sentenza 19/3/1991 : deroga (de derogare), decorso (de decorrere), ristoro (de ristorare), rivalsa (de rivalersi), saldo (de saldare), dans la sentenza 7/5/1991 : rigetto (de rigettare), assunto ( de assumere) contrasto (de contrastare), scarto (de scartare), esborso (de esborsare), ristoro (de ristorare)…
Les exemples sont nombreux. Même à partir d'une analyse qualitative, la fréquence de ces substantifs déverbaux apparaît plus importante que dans le langage courant. Le juriste ne se prive pas de cette possibilité que lui offre la langue italienne.
Voir par exemple : M.Gotti, op.cit., 1991 ; G.L.Beccaria, I linguaggi settoriali, Milan, 1973 ; M.L.Altieri Biagi, «Aspetti e tendenze dei linguaggi della scienza» in : Italiano d'oggi -Lingua non letteraria e lingue speciali, Trieste, 1974, pp.67-110.
F.Del Giudice, op.cit., p.379.
F.Del Giudice, op.cit., 1992, p.705. Voir également thèse p.116 pour les décrets législatifs.
G.Palmieri, op.cit., 1994, p.277.
F.Del Giudice, Dizionario giuridico corredato da riferimenti legislativi e confronti interdisciplinari, Naples, 1992, p.707.
Cf. G.Cornu, op.cit., 1990, pp.172-173.
La Repubblica, 13.11.1999, «Mani Pulite arriva a Firenze» de F.Selvatici.
M.Gotti, op.cit., 1991, p.25 ; A.A.Sobrero, op.cit., 1993, p.261.