La forme passive

La forme passive est utilisée lorsque l'agent de l'action n'est pas défini de manière précise et déterminée, ou lorsque l'on ne souhaite pas le désigner. Lorsque le complément d'agent est exprimé, en revanche la forme passive le met en évidence.

Cet emploi focalise l'attention du lecteur sur l'action, sur l'événement, ce qui en fait un procédé typique du style impersonnel. La forme passive est, par ailleurs, caractéristique de la syntaxe de la généralisation224 : le contexte et l'identité précise des agents de l'action ne sont pas présents ; l'énoncé renvoie à l'institution. Par conséquent, on peut penser que celle-ci est un trait distinctif exclusivement du texte législatif.225 En effet, le passif est très fréquemment employé par le législateur italien et les exemples pullulent dans les textes législatifs examinés. Par ailleurs, toutes les possibilités de construction de la forme passive sont utilisées par le législateur.

Tout d'abord, celle que l'on considère comme la forme passive fondamentale <être+participe passé>226. Citons, dans le D.L. n. 286 du 25 juillet 1998, l'art.2, alinéa 1 :

‘Allo straniero comunque presente alla frontiera o nel territorio sono riconosciuti i diritti fondamentali della persona umana (…)
alinéa 2 : (…) Nei casi in cui il presente testo unico o le convenzioni internazionali prevedano la condizione di reciprocità, essa è accertata secondo i criteri e le modalità previste dal regolamento di attuazione.
alinéa 5 : Allo straniero è riconosciuta parità di trattamento con il cittadino (…).’

Cette forme de passif est très usitée. Elle permet, du reste, d'exprimer le complément d'agent. Ainsi, à l'art.13, alinéa 2 du même texte législatif :

‘L'espulsione è disposta dal prefetto quando lo straniero : (…)
alinéa 4 : L'espulsione è eseguita dal questore con accompagnamento alla frontiera a mezzo della forza pubblica (…).’

La deuxième forme de passif, celle que l'on appelle227 en italien si passivante est également utilisée. L'usage de cette construction est fréquent lorsque le sujet n'est pas un être vivant et que le complément d'agent n'est pas exprimé. Toutefois, dans la plupart des cas examinés, le complément d'agent n'est pas exprimé. Ce n'est donc pas un critère de discrimination pour le législateur. Il ne nous a pas été possible de déterminer les raisons pour lesquelles il opte pour l'une ou l' autre forme. Quelques exemples permettent de constater ce fait. Ainsi, dans le D.L. n. 286 que nous avons déjà cité, à l'art.12, alinéa 6 :

‘(…) Si osservano le disposizioni di cui alla legge 24 novembre 1981, n.689.
alinéa 8 : (…) Si applicano, in quanto compatibili, le disposizioni dell'articolo 100, commi 2, 3 e 4, del testo (…)
art.25, alinéa 4 : Sulle contribuzioni di cui ai commi 1 e 2 si applicano le disposizioni dell'articolo 22, comma 11, concernenti (…).’

De toute évidence, cette forme est plus généralisante encore que la première ; le législateur semble228 ne pas en abuser et préférer le recours à la forme dite fondamentale.

Il est un autre moyen dont dispose le rédacteur : l'usage d'andare (exclusivement dans les temps simples) comme auxiliaire avec le participe passé. Dans ce cas, il s'agit d'une autre réalisation de la forme passive229, avec des nuances d'opportunité, d'obligation et de nécessité : «Le sens originaire passif semble glisser vers un sens impersonnel, mais les limites entre le sens passif et impersonnel sont floues».230 De plus, cette construction ne permet pas d'exprimer le complément d'agent. Aucun exemple de cet usage n'a été répertorié dans les textes législatifs.

La dernière possibilité offerte par le passif est celle qui consiste à utiliser, à la place de l'auxiliaire essere, le verbe venire (dans les temps simples) et le participe passé. Cette forme non plus n'est pas privilégiée par le législateur qui lui préfère la forme passive classique où il peut, le cas échéant, exprimer le complément d'agent, ou le si passivante.

Il convient d'illustrer l'usage de la forme passive de la part du rédacteur des jugements. La connaissance de la structure de ces textes231 permet de mieux comprendre les choix du rédacteur. Nous pouvons affirmer que le juge a recours à la forme passive parce qu'il se doit de présenter la réalité de façon objective. Cette nécessité se manifeste en particulier dans la partie où le rédacteur rapporte les faits (Lo svolgimento del processo232 ) et lorsqu'il motive la décision prise (I motivi ).

Dans le premier cas, la forme passive permet au rédacteur d'informer le destinataire de la manière la plus neutre, soulignant l'action, sans faire intervenier les sujets de l'action. En effet, dans nos exemples, le complément d'agent n'est jamais spécifié. Par ailleurs l'omission de ce dernier n'implique pas un manque de précision de la part du juriste. Le contexte permet toujours de le repérer et les sujets des actions décrites sont presque toujours les deux parties. Ainsi, la forme passive permet de rapporter les faits et grâce à l'omission du complément d'agent, l'énoncé s'avère moins lourd, sans être pour autant imprécis.

Dans la motivation, en revanche, l'usage de la forme passive permet au rédacteur de présenter la décision prise comme la seule possible au vu des faits et du droit. Aussi le rédacteur utilise-t-il cette forme pour nous présenter la réalité comme pour illustrer la vérité qui en découle.

Nous avons choisi de répertorier les formes passives d'un seul jugement, choix qui met en évidence la fréquence et l'usage dans les différentes parties d'une décision de justice. Ainsi, dans la sentenza 5/5/92, dont l'objet est l'opposition à un arrêt d'injonction (opposizione a decreto ingiuntivo) de la part de la Mairie de San Ferdinando di Puglia contre un ingénieur qui avait été chargé d'accomplir des travaux publics. Le jugement comprend 21 pages. Dans la partie du résumé des circonstances de la cause (lo svolgimento del processo) :

‘la delibera n.329 veniva dichiarata immediatamente esecutiva ; il conferimento dell'incarico veniva tempestivamente comunicato ; la delibera in questione veniva poi annullata ; ove fosse stata rigettata l'opposizione ; fosse poi dichiarata giuridicamente infondata ; venissero dichiarati i predetti Comuni, obbligati ; con cui era stata annullata ; la causa veniva rimessa al Collegio; ’

Dans la partie où l'on expose la motivation de la décision :

‘fu data esecuzione anticipata all'opera di progettazione ; onde la fattispecie correttamente va inquadrata (…) ; da sempre la Cassazione sostiene che essa non può considerarsi (…) ; la c.d. «culpa in contraendo» non può'' considerarsi nemmeno ; ai fini della affermazione della responsabilità contrattuale non si può prescindere dalla verifica ; come si evince dallo stesso art.2 e 4 cit. ; si potrebbe obiettare che ; si potrebbe ritenere che…; si evince in maniera chiara che ; pretendendo determinate garanzie per l'ipotesi che il contratto non fosse venuto ad approvazione ; imposizione che si giustifica (….) ; nè si può intravedere ; tale impostazione ripetesi, si giustifica ; diversamente si configura una pretesa ; si configurano gli estremi ; come si è gia rilevato ; si applica anche l'articolo ; non si verte in tema di responsabilità contrattuale, la prestazione dello stesso Bee venne richiesta dal Comune e sottoposta ad approvazione ; prima ancora che, (…) fra Enti pubblici ed altri soggetti non fosse concluso l'iter relativo alla stipulazione del contratto ; si ritiene equo compensare…; Ricorrendone le condizioni, può essere autorizzata la provvisoria esecuzione della sentenza.233

Rares sont les cas, dans le jugement que l'on vient d'analyser, où le rédacteur exprime le complément d'agent. L'usage du passif permet au rédacteur des jugements de «disparaître» tout en offrant son interprétation de la réalité comme une vérité objective. Le juge ne se présente en tant que sujet grammatical que dans le dispositif et dans la partie introductive. Quand il s'agit d'un jugement d'une Pretura, on peut souvent lire :

‘il Pretore di…., Dott…., ha pronunciato la seguente sentenza (partie introductive) ; Il Pretore definitivamente pronunciando su (….) così provvede :… (le dispositif du jugement ).’

Dans la partie restante du texte, lorsque le rédacteur exprime son interprétation des faits et du droit, il s'efface en utilisant le passif.

Dans les contrats, l'usage de la forme passive n'est pas si fréquent. La raison en est simple : à la différence des textes législatifs ou des textes juridictionnels, où la notion d'impersonnalité et de neutralité véhiculées par le passif sont nécessaires au rédacteur, il est fondamental dans un contrat de savoir avec précision qui doit recevoir et qui doit donner, à qui incombent les devoirs, à qui vont les privilèges, de qui l'on hérite, à qui l'on donne … C'est la forme active qui permet le mieux de «personnaliser» les textes contractuels.

Cependant, le rédacteur opte pour la forme passive lorsqu'il décrit le bien, objet de la vente immobilière, probablement pour des raisons pragmatiques. En effet, cette tournure permet au notaire rédacteur de l'acte de mettre «le bien» en première position et il est plus facile au lecteur de repérer immédiatement les informations qui le concernent. A titre d'exemple :

‘Quanto in oggetto viene compravenduto per il prezzo complessivo di Lire 80.000.000 (ottantamilioni) che è stato prima d'ora pagato dalla Parte Acquirente alla Parte Venditrice, la quale ne rilascia ampia e relativa quietanza (…) ; ’

et encore :

‘Quanto in oggetto viene compravenduto nello stato di fatto e di diritto (…)234

La possibilité de souligner un élément grâce à la construction passive n'est l'apanage, ni des contrats, ni des langages spécialisés. C'est un usage courant de la langue italienne. En fonction de ses besoins, le rédacteur a systématiquement recours à la forme passive ou active. Si la forme active prévaut dans les contrats (notariés et non ), c'est que dans ces documents, l'exigence de préciser les sujets de l'action est une priorité.

Dans les textes administratifs, l'usage de la forme passive est également fréquent. Dans les circulaires ou les délibérations d'un conseil municipal, il permet au rédacteur de s'effacer, de devenir invisible. Le sujet sous-jacent est l'Administration Publique, mais elle n'est pas explicitée en tant que sujet. Le rédacteur du texte administratif opère de la même façon que le rédacteur de textes législatifs.235 En voici quelques exemples :

‘(…) La norma suesposta è preordinata al fine di evitare la eccessiva incidenza della pendenza dei procedimenti amministrativi sulla esplicabilità delle posizioni di vantaggio degli amministrati. (…)
Per altro verso con la fissazione del termine suindicato è assicurata al titolare di un progetto di iniziativa l'attuazione della medesima senza dover attendere il completamento (…).’

L'usage de la forme passive a été beaucoup critiqué par les linguistes236 chargés d'améliorer la lisibilité des communications écrites de l'Administration italienne. L'usage du passif peut rendre plus difficile la compréhension du texte, puisque le sujet n'est pas exprimé, mais sous-entendu. C'est pourquoi, les rédacteurs du Codice di Stile delle Comunicazioni scritte ad uso delle Amministrazioni Pubbliche237 recommandent d'«éviter soigneusement la forme passive et la forme impersonnelle, si celles-ci ne permettent pas à cet endroit à la personne qui lit de comprendre immédiatement qui est le sujet et qui est l'objet de l'action, c'est à dire celui qui fait (ou celui qui doit faire) et quoi». Il y a constatation d'un usage fréquent qu'il conviendrait de supprimer.

En conclusion, la forme passive permet de rendre l'énoncé impersonnel. Le spécialiste focalise l'attention sur les faits, sur les résultats de l'action, et non sur les sujets ou sur les causes. De plus, la formulation passive remplit un rôle très fonctionnel dans l'énoncé informatif, car l'attention se porte sur une action ou sur un phénomène déjà connu ( il est déjà précisé dans une phrase précédente) et les informations nouvelles suivent. Ainsi, en termes de linguistique textuelle, le «thème»238 est connu et le «rhème» est nouveau, ce qui permet une progression de l'énoncé, et donc de l'information, plus naturelle et plus efficace239. Ou, pour le dire autrement la construction passive privilégie les objets et non les sujets, les phénomènes et non leurs déroulements 240.

En résumé, l'usage du passif est surtout caractéristique des textes législatifs, juridictionnels et administratifs, ses traits d'impersonnalité et de généralisation répondant aux besoins des rédacteurs. En revanche, la forme passive est moins fréquente dans les contrats, où les nécessités sont différentes.

Notes
224.

P.Goodrich, Legal Discours Studies in Linguistics, Rhetoric and Legal Analysis, Londres, 1987, pp.180-181.

225.

J.L.Sourioux, P.Lerat, op.cit., 1975, pp.44-45.

226.

L.Serianni, op.cit., 1989, p.385.

227.

L.Serianni, op.cit.,1989, p.385.

228.

Notre étude n'est pas quantitative, mais qualitative. Toutefois, les exemples repertoriés confirment cette impression.

229.

L.Serianni, op.cit., 1989, p.386.

230.

G.H.Herczeg, «La locuzione perifrastica <andare + participio passato>» in : Lingua Nostra, XXVII, 1966, p.63 : «Il significato originario passivo sembra slittare verso un senso impersonale, ma lasciando sfocati i contorni tra passivo e impersonale.». (cité par L.Serianni, op.cit., 1989, p.386).

231.

Voir structure et contenu du texte législatif pp.147-180, du texte juridiction-nel pp.215-240 et du contrat pp.265-288.

232.

Voir Lo svolgimento del processo, pp.219-221.

233.

Aucun exemple dans le dispositif.

234.

Compravendita 14/11/1994.

235.

Cf. I.Calvino, «L'antilingua» in : Una pietra sopra, 1980, pp.122-126; Presidenza del Consiglio dei Ministri, Codice di Stile delle Comunicazioni scritte ad uso delle Amministrazioni pubbliche, Rome, 1993, p.31.

236.

G.Basile, «Storie e caratteristiche dell'italiano burocratico» in : Novecento, 1, 1991, pp.23-40.

237.

Presidenza del Consiglio dei Ministri, Codice di Stile delle Comunicazioni scritte ad uso delle Amministrazioni Pubbliche, Rome, 1993, p.31 : «evitare accuratamente la forma passiva e quella impersonale, se e quando queste non consentano a chi legge di capire immediatamente chi è il soggetto e chi è l'oggetto dell'azione, vale a dire chi fa (o deve fare) che cosa.».

238.

Cf. M.A.K. Halliday, Sistema e funzione nel linguaggio, Bologne, 1987, pp.273-293. Dans une phrase, le thème est le constituant immédiat au sujet duquel on va dire quelque chose ; le rhème est formé par le reste des constituants. Voir aussi : J.Dubois, L.Guespin, M.Giacomo, et al., Dictionnaire de Linguistique et de Sciences du langage, Paris, 1994, p.93 et p.482.

239.

Cf. M.Gotti, op.cit.,1991, pp.96-101 ; R.Snel Trampus, op.cit., 1989, pp.48-50.

240.

Cf. M.L.Altieri Biagi, «Postille al Dialogo sopra i massimi sistemi» in : Alma Mater Studiorum, Università degli Studi di Bologne, III, 1, 1990, p.30.