Au cours de cette étude, la notion de compréhension des énoncés est souvent mentionnée. En effet, notre intérêt pour ce type de langage est motivé par les liens étroits qu'il entretient avec la société. Le langage juridique, tout comme le langage médical, doit être fonctionnel à l'intérieur de la communauté des spécialistes, mais en même temps, «sa finalité le destine à tous»293. Cette dimension universelle nous important particulièrement, nous avons choisi comme corpus, représentatif du langage législatif,les actes de loi concernant les étrangers, publiés de 1989 à 1998 dans le Journal Officiel italien, La Gazzetta Ufficiale.
Il est nécessaire de rappeler que l'Italie ne connaît le phénomène de l'immigration que depuis une vingtaine d'années environ, d'où la relative «pauvreté» - quantitativement parlant - de la législation en la matière. La situation serait tout autre si l'on examinait les mesures législatives de pays comme la France, l'Allemagne ou le Royaume Uni, qui connaissent ce phénomène depuis très longtemps (plus d'un siècle en général) et dont les premières lois à cet égard remontent à la fin du XIXe siècle. Rappelons aussi que le corpus294 des textes examinés est formé de nombreux décrets-loi, d'arrêtés ministériels et des trois lois approuvées et publiées entre le 30 décembre 1989 et le 25 juillet 1998295.
L'Italie prend désormaisdes mesures législatives à l'époque où l'Europe entière, du fait de la conjoncture difficile, considère selon une logique rigoureuse la venue et la présence d'étrangers sur le territoire national. L'examen de la législation italienne fait apparaître une multiplication des textes dans laps de temps296 très court. L'urgence de la situation et l'arrivée massive d'immigrés aux frontières décident, en effet, les pouvoirs publics à intervenir. Citons, à titre d'exemple, le début du règlement du 28 décembre 1990 du ministère de la Protection civile qui détaille la nécessité de trouver une solution législative face à la présence croissante des étrangers sur le territoire national, tout en rendant compte de la gravité de la situation. Ainsi 297 :
‘ «Étant donné la situation particulièrement grave dans certaines provinces du fait du nombre important d'étrangers, du manque de structures d'accueil, du fait des conditions d'hygiène insuffisantes et du fait de la situation économique et sociale, il s'agit à tous égards de véritables situations d'urgence, qui exigent l'intervention du ministre de la Protection civile.» ’L'urgence de la situation explique le grand nombre de décrets et d'arrêtés par rapport aux lois.Cela dit, il convient de rappeler qu'en Italie, la prolifération du nombre des décrets par rapport aux lois est non seulement propre à l'objet de notre corpus, mais aussi à toute la législation italienne, comme le fait remarquer P.Ingrao298 :
‘«Il y absence, diminution de lois-cadre, de grandes lois de référence, je parle de grandes lois de réforme ; et, en revanche, une augmentation extrême de législations particulières, un maquis de petites lois, et dernièrement, la floraison peu satisfaisante des décrets-lois.»’Depuis 1990 (année des premières arrivées des Albanais sur les côtes italiennes299), des règlements multiples et complexes tendent à insérerl'étranger (et avant tout le travailleur étranger) dans un réseau extrêmement dense d'obligations. Le but est à la fois d'assurer la sauvegarde des personnes en situation difficile, de réduire les éventuelles possibilités de travail, et de restreindre les conditions de séjour.
Avant d'aller plus loin, il convient de préciser la nature juridique des différents textes législatifs examinés ici300 : les lois301, les décrets-lois, les décrets législatifs, les arrêtés ministériels 302 et les règlements303..
Ainsi, d'après la Constitution italienne, la loi (la legge) est un acte élaboré par l'Assemblée des députés et par le Sénat et promulgué par le Président de la République.
Selon l'article 77 de la Constitution, le gouvernement, dans des cas extraordinaires de nécessité et d'urgence, peut, lui-aussi, adopter par décret et sous sa responsabilité des mesures provisoires ayant force de loi : i decreti-legge (les décrets-loi). Ces mesures législatives doivent être immédiatement présentées au Parlement, qui doit les approuver dans un délai de soixante jours. Si cette approbation n'intervient pas, les décrets deviennent caducs et cette caducité a une efficacité ex tunc : c'est-à-dire qu'il faut agir comme si ces décrets n'avaient jamais existé. Le Parlement est toutefois libre de réglementer différemment les situations juridiques issues de ces mesures devenues caduques.
Selon l'article 76 de la Constitution, le gouvernement peut adopter des décrets ayant force de loi (i decreti legislativi ), même en l'absence des conditions de nécessité et d'urgence. Il peut toutefois agir dans ce sens seulement si le Parlement a approuvé une loi qui lui délègue, pour une certaine matière, le pouvoir législatif. Cette loi (Legge delega) doit préciser les principes auxquels devra s'inspirer l'action du gouvernement, l'échéance avant laquelle les décrets devront intervenir ainsi que leur objet.
Quant à l'arrêté ministériel (decreto ministeriale), il s'agit d'une mesure législative ayant valeur de loi et promulguée par un ministre dans son domaine de compétence. Il est publié dans le Journal Officiel, après avoir été enregistré auprès de la Cour des Comptes.
En outre, en droit administratif, on appelle ordinanza tous les actes qui créent des obligations ou des interdits, en somme, tous les actes qui imposent des ordres.
Après avoir donné ces indications, il est notoire que, pour un juriste, ce sont des textes très différents, mais du point de vue linguistique, tous ces documents présentent une grande homogénéité de caractères.
G.Cornu, op.cit., 1990, p.23.
Le détail du corpus est fourni en bibliographie.
Legge 28 febbraio 1990, n.39 ; Legge 23 dicembre 1991, n.423 et D.Lgs. 25 luglio 1998 (Testo Unico).
Cf. la liste des textes législatifs examinés pour cette étude fournie en annexe. Sur une période de deux ans (entre le 30 décembre 1989 et le 26 novembre 1992), 19 mesures législatives concernant les étrangers ont été adoptées en Italie.
Considerato che in talune province si sono determinate situazioni particolarmente gravi, sia per il rilevante numero di stranieri presenti, sia per la carenza di strutture di accoglienza e sia per situazioni igieniche, economiche e sociali tanto da configurare vere e proprie situazioni di emergenza che hanno sollecitato da più parti l'intervento del Ministro per il coordinamento della protezione civile (…).
P.Ingrao, «Il linguaggio della legge» in : I.Bologna, R.Borruso, T.De Mauro, Linguaggio e Giustizia, Ancône, 1986, p.103 : Assenza, caduta, di leggi-quadro, di grandi leggi di riferimento, io dico di grandi leggi di riforma ; e invece una crescita estrema, invece di legislazioni particolari, la «selva» delle leggine, sino all'ultimo sviluppo (…), sino alla fioritura non entusiasmante dei decreti legge.
Le véritable exode imprimé dans la mémoire collective des Italiens a eu lieu au printemps 1991 (le 28 février 1991), où des milliers d'Albanais se sont déversés sur les côtes des Pouilles.
Précisons que, pour des raisons de commodités de langage, tous les textes législatifs sont cités par le biais de leur abréviation juridique italienne.
Les articles de la Constitution italienne qui concernent la loi sont ceux allant de 70 à 75.
Cette mesure législative est prévue par la L. n.400 du 23 août 1988. Cf. F. Del Giudice, op.cit., p.380 et G. Palmieri, op.cit., p.160.
On distinguent : les règlements prévus par la loi pour des cas ordinaires, comme par exemple les mesures prises par le Comitato Interministeriale Prezzi (Comité interministériel prix) qui fixe les prix politiques des marchandises et des services essentiels ; les règlements prévus par la loi pour des cas exceptionnels de gravité particulière tels que i bandi militari (les avis militaires), le ordinanze del Ministero dell'Interno (les règlements du Ministère de l'Intérieur) ; les règlements de nécessité (ordinanze di necessità ) qui sont émanés par des autorités administratives, pourvues de ce pouvoir par la loi, pour les cas qu'elles considèrent comme des cas de nécessité. Cf. F.Del Giudice, op.cit., p.846 - 847.