Usage des temps

La fonction normative est également explicitée par l'usage des temps que le législateur choisit pour exprimer l'obligation. L'examen des différents textes nous permet de dire que le présent et le futur de l'indicatif font l'objet d'un usage quasi général pour exprimer le caractère obligatoire des ordres donnés.

En italien, le présent de l'indicatif, comme en français, exprime ce qui est, non ce qui doit être. Le présent exprime une action effectuée au moment où l'on parle, un fait habituel ou permanent, des habitudes ou des dispositions physiques, morales, non un ordre de la loi. Cet usage du présent de l'indicatif est appelé presente acronico 321 (présent hors du temps). Le linguiste italien affirme que ce temps «qualifie une situation comme étant «hors du temps», car elle acquiert ainsi une validité pérenne, une possibilité d'application universelle». Dans le corpus examiné, cet usage paraît doublé de la valeur conative322 qui est celle de l'impératif et de la valeur prescriptive des verbes exprimant l'obligation. Ainsi, on peut affirmer que, dans les textes législatifs, l'usage du présent de l'indicatif a souvent la valeur conative de l'impératif.

On trouve, dans toutes les lois, des exemples de cet emploi «hors norme». Ainsi :

‘(…) gli stranieri che abbiano riportato (…), sono espulsi dal territorio dello Stato. ( D.L. n. 323 du 1 juillet 1992,art.3 ) ; il prefetto, a seguito di tempestiva comunicazione da parte degli ufficiali o (…) dispone con decreto motivato l'espulsione (D.L. n. 323 du 1 juillet 1992,art.4 ;
D.L. 30.12.1989, n.416, art.6 : I sindaci annotano l'iscrizione o la variazione anagrafica (…) e ne danno comunicazione, (…);
D.L. 30.12.1989, n.416, art.7, alinéa 7: (…) il questore esegue l'espulsione mediante intimazione allo straniero (…).

Il est aisé de constater que dans tous ces exemples, l'intention du législateur n'est pas de décrire une réalité, mais de «donner des ordres» d'imposer une norme de comportement. Ainsi, si l'on explicite les intentions du législateur :

‘gli stranieri devono essere espulsi ’ ‘il prefetto ha l'obbligo di disporre’ ‘il questore deve eseguire l'espulsione, ’ ‘i sindaci devono annotare, ’ ‘il prefetto ha l'obbligo di disporre.’

L'auxiliaire modal dovere (devoir) n'est pas exprimé, mais il est sous-entendu. C'est l'intention prescriptive de l'émetteur qui permet de comprendre la valeur contraignante de ces affirmations.Pour illustrer le caractère normatif du texte législatif, même si les traits formels ne le laissent pas entrevoir, N.Bobbio323cite un exemple, tiré du Code civil : Al padre ed alla madre succedono i figli in parti uguali . Le philosophe italien fait remarquer que l'intention du rédacteur n'est pas d'informer le lecteur, mais de donner un ordre. Il en est de même des exemples que nous avons répertoriés.

Le futur, qui peut avoir une valeur conative, est souvent préféré à l'impératif dans les textes de loi. Les raisons de cette préférence résident dans le fait que, par cet usage, le législateur donne à son énoncé non seulement le caractère catégorique de l'impératif, mais aussi la valeur de certitude du futur. Il indique, par ce moyen, que son ordre doit et sera sûrement exécuté324, comme le laissent entendre quelques emplois :

‘In ogni caso la durata del contributo non potrà essere superiore a quarantacinque giorni ; ( D.L. n. 237 du 24 juillet 1990, n.237, art.1, alinéa 1) ;’ ‘Le richieste saranno valutate dalla Direzione Generale dei servizi (…).(Règlement n.2058/FPC du 28 décembre1990, art.3 ) ’

Cet usage du futur, que l'on appelle aussi déontique, appartient également au langage de l'Administration. Les études de lisibilité, montrent que, malgré la valeur d'obligation clairement soulignée, cet emploi peut déboucher sur une ambiguïté. Ainsi, le Codice di stile delle Comunicazioni scritte ad uso delle amministrazioni pubbliche 325 conseille d'éviter cette utilisation et d'opter pour les verbes prescriptifs (dovere, esser tenuto, obbligato, …) afin d'être le plus clair possible.

Néanmoins, l'indicatif présent reste le temps du langage législatif par excellence. Ainsi, il semble que la règle n'est pas imposée, mais qu'elle est dans l'ordre naturel des choses. Cette explication confirme la valeur atemporelle reconnue à l'usage du présent de l' indicatif.

Cet emploi du présent - et occasionnellement du futur de l'indicatif - pour exprimer un ordre tient à ce que l'impératif, malgré son caractère d'obligation, n'est pas véritablement approprié au langage normatif, car à la fois trop absolu et trop personnel. Par ailleurs, le mode impératif pour exprimer le commandement n'est pas toujours employé 326 ; un texte trop personnalisé ne serait pas conforme à la nature de la règle de droit : la loi a une portée universelle même quand elle traite d'un sujet particulier.

Notes
321.

Cf. L.Serianni, op.cit.,1991 : pp.466-467 (…) qualifica una situazione, come «fuori dal tempo », in quanto ad essa viene attribuita validità perenne, applicabilità universale..

322.

Cf. ibid., p.478.

323.

N.Bobbio, Teoria della norma giuridica, Turin, 1958, p.80.

324.

L.Serianni, op.cit., 1991, p.527, cite un exemple de O.Mencacci :Onorerai il padre e la madre. (O.Mencacci, «L'imperativo nell'italiano contemporaneo», in : AUSP, Suppl., n.4, 1983, pp.143-158). O.Mencacci affirme que le futur puo' avere il senso di un imperativo categorico (peut avoir le sens d'un impératif catégorique).

325.

Ibid.

326.

Cf. O.Mencacci, «L'imperativo nell'italiano contemporaneo» in : AUSP, Suppl., n.4, 1983, p.161, cité par L.Serianni, op.cit., 1991, p.478