La précision s'est révélée être l'un des critères directeurs du langage pour le législateur. Celui-ci est censé opter pour les termes techniques qui permettent de décrire plus précisément la réalité. Cependant, notre analyse linguistique a mis en relief la polysémie comme trait caractéristique du vocabulaire juridique. Etrange destinée pour un langage qui semble très loin du langage courant, mais qui, sous certains aspects, se révèle être très proche… En effet, l'analyse des textes législatifs met en exergue par rapport aux termes techniques, le grand nombre de mots issus du langage courant. Pour s'en rendre compte, il suffit de choisir un article au hasard : prenons l'article 7 (Obligations de l'hôte et de l'employeur) du D.L. n.286 du 25 juillet 1998. Formé de 2 alinéas pour un total de 110 mots, il ne compte qu'une dizaine de termes juridiques (titolo, straniero, apolide, affine, proprietà, godimento, beni immobili, autorità locale di pubblica sicurezza, denunciante, passaporto). Un constat identique peut être dressé sur la base d'articles à contenu plus technique : art.5 Permis de séjour, art.9 Carte de séjour, art.14 Exécution de l'expulsion, art.15 Expulsion pour des raisons de sécurité, où le pourcentage de termes techniques varie de 10 à 15 %. Certes, les textes législatifs examinés portent sur des problèmes de société, mais ce pourcentage confirme le poids limité des termes techniques dans l'usage législatif.
Notre analyse fait également ressortir, aux côtés des termes juridiques, la présence de mots qui ne sont pas des termes techniques à proprement parler, mais qui ont une connotation technique. Cette présence, qu'il n'est pas indispensable, peut constituer une entrave à la compréhension. Des termes comme evadere una pratica, coltivare un ricorso, corrispondere una somma di denaro, fruire di un congedo indiquent que, consciemment ou non, le législateur veut marquer une réelle distance vis-à-vis des citoyens342. Citons quelques exemples dans le contexte :
‘D.L. n. 237 du 24 juillet 1990 :Certes, il est difficile d'interpréter correctement leur usage dans ce contexte, mais il semble judicieux d'y voir les indices de la préférence du législateur pour un langage technique qui, en se différenciant du langage courant, peut permettre une formulation moins ambiguë. Le souci du destinataire, ainsi confronté à une difficulté linguistique inutile, ne semble pas concerner le rédacteur.
L'analyse stylistique fait également apparaître une tendance à l'abstraction et à la conceptualisation dans la formulation. Le législateur préfère rechercher la «distance» avec la réalité pour annoncer la règle,d'où un fréquent recours au style nominal, qui lui permet d'atteindre cet objectif. Nous avons déjà souligné l'emploi de cette structure en interprétant les raisons de son usage dans le langage juridique. Il s'agit à présent de mettre en relief d'autres motivations qui nous paraissent pertinentes. Le recours à la nominalisation permet au législateur d'objectiver la réalité et de la conceptualiser. Citons quelques exemples avant de poursuivre notre interprétation à ce sujet. Dans le D.L. n. 286 du 25 juillet 1998, art.18, alinéa 3 :
‘Con il regolamento di attuazione sono stabilite le disposizioni occorrenti per l'affidamento della realizzazione del programma a soggetti diversi da quelli istituzionalmente preposti ai servizi sociali dell'ente locale, e per l'espletamento dei relativi controlli.Si l'on transforme les formes nominales soulignées en formes verbales, la phrase devient plus «accessible », moins abstraite. Ainsi :
‘Con il regolamento di attuazione sono stabilite le disposizioni occorrenti per affidare la realizzazione del programma a soggetti diversi da quelli istituzionalmente preposti ai servizi sociali dell'ente locale, e per espletare i relativi controlli.Certes, cette première ébauche de transformation mériterait d'être améliorée. Nous en sommes conscients, mais notre propos consiste simplement à mettre en évidence la possibilité réelle d'une formulation plus concrète, donc à faire ressortir le choix délibéré du législateur pour une formulation abstraite.
Nous constatons cette préférence du législateur dans tous les textes analysés. Souvent, ces termes abstraits sont le résultat de la nominalisation de formes verbales. Citons encore un exemple pour étayer notre démonstration.
A l'art. 39 du D.L. n. 286 du 25 juillet 1998, qui concerne l'accès des étrangers à l'Université, à l'alinéa 2 :
‘Le Università, nella loro autonomia e nei limiti delle loro disponibilità finanziarie, assumono iniziative volte al conseguimento degli obiettivi del documento programmatico di cui all'articolo 3 (…),’A l'alinéa 3 : Con il regolamento di attuazione sono disciplinati :
‘a) gli adempimenti richiesti agli stranieri per il conseguimento del visto di ingresso e del permesso di soggiorno per motivi di studio anche con riferimento alle modalità di prestazione di garanzia di copertura economica da parte di enti o cittadini italiani o stranieri regolarmente soggiornanti nel territorio dello Stato in luogo della dimostrazione di disponibilità di mezzi sufficienti di sostentamento da parte dello studente straniero ;Cet article est imprégné de l'effort d'abstraction et de conceptualisation du rédacteur. Le législateur semble privilégier cette manière d'appréhender le réel. Il faut dire que les termes abstraits permettent une souplesse plus grande que les mots concrets, qui recouvrent des faits ou des gens bien précis. Répétons-le encore une fois : la norme est abstraite et générale.
Toutefois, ce recours à l'abstrait peut créer des difficultés pour le destinataire non initié. En effet, les rédacteurs du Codice di stile delle Comunicazioni Scritte ad uso delle Amministrazioni pubbliche 343conseillent d'éviter l'usage de termes abstraits qui rendent la compréhension du message moins immédiate qu'avec une formulation concrète. L'abstraction et la conceptualisation sont d'ailleurs typiques du style soutenu.
D'autres indices confirment cette dernière assertion. Tout d'abord, la présence de locutions et de conjonctions archaïques et littéraires, telles que ove, onde, altresì', all'uopo. Citons, à titre d'exemple, dans le D.P.R. n. 136 du 15 mai 1990, l'article 3, alinéa 1 :
‘1. Il richiedente lo status di rifugiato, ove lo richieda, deve essere sentito personalmente da parte della Commissione. Il richiedente ha diritto ad esprimersi nella propria lingua e, ove questa non sia conosciuta da almeno un membro della Commissione, ha diritto ad esprimersi in lingua francese o inglese o spagnola.’Nous constatons que la conjonction ove est accompagnée du subjonctif pour exprimer l'éventualité. Il s'agit, sans aucun doute, d'un usage recherché de la langue italienne, d'une manière d'ennoblir la prose. Ainsi, à l'alinéa 2 du même article :
‘La Commissione può altresì, ovelo ritenga opportuno, disporre d'ufficio l'audizione del richiedente con le garanzie di cui al comma 1. ’Dans le D.L. n. 301 du 27 mai 1992, à l'art. 6, alinéa 1 :
‘All'onere derivante dall'attuazione del presente decreto pari a lire 125 miliardi per l'anno 1992, si provvede mediante corrispondente riduzione dello stanziamento iscritto sul capitolo 6856 dello stato di previsione del Ministero del Tesoro, per il medesimo anno,all'uopoparzialmente utilizzando lo specifico accantonamento «Interventi connessi con i fenomeni dell'immigrazione, dei rifugiati e degli Italiani all'estero.’Dans ce dernier passage, nous remarquons d'autres marques du style soutenu, et notamment l'usage des tournures participiales (derivante) et gérondives (utilizzando), qui permettent au législateur de s'exprimer de façon concise. Citons d'autres exemples de cet usage avant d'en commenter les effets. Ainsi, dans le D.P.R. n. 136 du 15 mai 1990, à l'article 1, alinéa 1 :
‘Ai fini della procedura di cui al presente regolamento, l'ufficio di polizia di frontiera,ricevuta l'istanzavolta al riconoscimento dello status di rifugiato ai sensi dell'art. 1, comma 5, del decreto-legge 30 dicembre 1989, n.416, convertito, con modificazioni, dalla legge 28 febbraio 1990, n.39, qualora non ricorra alcuna delle cause ostative di cui al comma 4 dello stesso art. 1, invita il richiedente ad eleggere domicilio ed a recarsi presso la questura competente per territorio e trasmette alla stessa l'istanza ricevuta (…) ;’ ‘Loi 28 février 1990, art.3, alinéa 2 : Nel contesto delle relazioni bilaterali e multilaterali esistenti e di quelle da definire (..) ;’ ‘alinéa 4 : Salvo quanto previsto dalla legge (…), recante norme sulla disciplina (…) ;’ ‘alinéa 5 : (…) decorsi quarantacinque giorni, (…) ;’ ‘alinéa 4 : (…) fatti salvi i più brevi periodi stabiliti…’Ces exemples ne constituent qu'un petit échantillonnage de cet usage très fréquent dans tous les textes législatifs. En effet, ces structures permettent de s'exprimer de façon expéditive et montrent, d'un côté, le souci de concision du législateur, de l'autre, le goût pour le conceptualisme précédemment annoncé. On reconnaît dans ces exemples l'évocation plus ou moins nette de la structure latine de l'ablatif absolu. La marque archaïsante ou latinisante est plus sensible encore lorsque le verbe est au participe passé. Il est important de souligner que l'économie de moyens et le raccourci concentrent les concepts essentiels et confèrent une densité remarquable à ces pages.
La recherche de la formulation technique, même lorsqu'elle n'est pas nécessaire, la présence d'archaïsmes, l'usage d'une syntaxe complexe, le recours à des locutions savantes et la structure codifiée du texte législatif contribuent à créer une distance réelle entre le législateur et le citoyen. S'agit-il d'une nécessité ou d'une volonté ? Certes, la règle doit être abstraite et générale. C'est sa nature, et le législateur est tenu de la respecter. Néanmoins, il nous semble nécessaire de tenir compte du destinataire, donc du citoyen, lors de la rédaction. Si les citoyens jouissent de la liberté constitutionnelle344 de parole et d'expression, ils sont également en droit d'attendre que soit garantie leur compréhension des lois. Le législateur se doit de ne pas l'oublier.
L.Serianni appelle ces termes «tecnicismi collaterali» et les définit ainsi : «particolari espressioni stereotipiche, non necessarie, a rigore, alle esigenze della denotatività scientifica, ma preferite per la loro connotazione scientifica». «Lingua medica e lessicografia specializzata nel primo Ottocento », in La crusca nella tradizione letteraria e linguistica italiana. Atti del Congresso Internazionale per il IV centenario dell'Accademia della Crusca (Firenze, 29 settembre - 2 ottobre 1984), Firenze, Accademia della Crusca, p.270.
Presidenza del Consiglio dei Ministri, Codice di Stile delle Comunicazioni scritte ad uso delle Amministrazioni Pubbliche, 1993, pp.44-48.
L'article 21 de la Constitution prévoit : «Tutti hanno il diritto di manifestare liberamente il proprio pensiero con la parola, lo scritto e ogni altro mezzo di diffusione..» Par extension, tous les citoyens italiens doivent être mis en situation de pouvoir comprendre.