B Textes juridictionnels

Le texte juridictionnel est le produit de l’activité écrite du juge, qu'il s'agisse de sentenza, d'ordinanza345 ou de decreto346. Notre analyse s'intéresse au texte juridictionnel par excellence : la sentenza, le jugement. Cet acte de la magistrature marque en effet l'aboutissement du procès et exprime pleinement le pouvoir judiciaire, à la différence de l'ordinanza et du decreto qui indiquent des mesures prises par les autorités juridictionnelles au cours du procès ou pendant sa phase préparatoire. Avant d’analyser dans le détail comment cet acte juridictionnel se réalise et les caractéristiques linguistiques qui le définissent, précisons les critères formels que la loi prévoit pour la sentenza. Précisons en outre que le terme sentenza désigne aussi bien les jugements des Tribunaux que les arrêts de la Cour de Cassation.347

Le jugement se distingue des autres actes judiciaires par le fait qu’il doit obligatoirement être motivé ; il en va de même de l’ordinanza, mais non du decreto, sauf dans certains cas prévus par la loi.348L’article 111 de la Constitution, au premier alinéa, précise que tous les actes émanant des juridictions doivent être motivés : «Toutes les mesures des juridictions doivent être motivées (…).»349 L'exposé des motifs des décisions prises par les autorités judiciaires est donc l'élément fondamental qui permet de les distinguer des actes administratifs et des lois. En effet, les actes juridictionnels sont des actes d'autorité, mais le juge à la différence du législateur est tenu de justifier sa décision, de la motiver dans les termes établis par la loi. Son jugement n'est légitime que s'il est justifié : la motivation permet aux juridictions supérieures de le contrôler. Les citoyens peuvent, eux aussi, du moins théoriquement, apprécier l’activité du juge : les jugements sont des actes publics, déposés au greffe de la juridiction concernée. Tous peuvent en avoir connaissance s'ils le souhaitent ; le justiciable n'est pas donc le seul destinataire. L'analyse linguistique rendra néanmoins sceptique quant à la possibilité réelle de la part du «commun des mortels» de comprendre cet acte et de pouvoir ainsi exercer un contrôle sur l'activité du pouvoir judiciaire. La loi prévoit encore que dans la motivation350, le juge doit :

  1. se référer à une source législative ;
  2. développer son raisonnement de façon logique ;
  3. ne pas se livrer à des évaluations et ne pas donner des appréciations personnelles. Le juge n’est pas libre de décider ; comme tout un chacun, il est sujet à la loi. Son rôle est d'argumenter sur la base de critères logiquesCf. F.Roselli, «Le sentenze devono essere comprese da tutti ?» in : I.Bologna, R.Borruso, T.De Mauro, Linguaggio e giustizia, Ancône, 1986, pp.21-31. .

La décision du juge s’exprime par un ordre, un commandement adressé aux personnes précisées, c'est le dispositif352 : il dispositivo 353 . Il va de soi que ce commandement est valable à la seule condition que le juge se réfère à un autre commandement : la loi. Le seul cas où le juge peut ne pas motiver sa décision, c'est celui de la sentenza d’equità C'est un cas fort rare, prévu par la loi, quand le juge peut et doit juger en son âme et conscience, sans s'appuyer sur une norme juridique précise.354 .

Le principe, la source, c'est le texte de la loi ; le jugement en découle. Ainsi, à la différence du texte législatif, le texte juridictionnel est un «acte de réalisation du droit»355; il n’est ni général, ni souverain. En effet le jugement est individuel, il ne concerne que les destinataires clairement indiqués. Il est possible, donc, d’affirmer que son trait le plus spécifique est l’application d’une règle générale à un cas particulier. Le jugement devient ainsi décision juridique individuelle et, sous cet aspect, les textes juridictionnels sont des textes normatifs356. Il s'agit de régler le comportement du destinataire du message ; cela correspond exactement à la fonction du dispositivo, qui achève le jugement, qui annonce la solution donnée au litige. C'est au dispositif qu'est attaché l'autorité de la chose jugée.

Cependant, l’obligation qu'a le juge de motiver sa décision en fait et en droit (in fatto e in diritto) transforme le jugement en lieu de rencontre de plusieurs langages : «celui du fait, celui du droit et celui de la logique.»357 Ainsi, si l’on sait que le juge, avant de prendre sa décision, évalue les faits et qu'il justifie son appréciation en s’appuyant sur une série d’arguments, il faut considérer la sentenza comme un texte à caractère non seulement normatif, mais aussi argumentatif358. Autrement dit, le texte juridictionnel répond à plusieurs fonctions qu'il est possible de repérer, dans sa rédaction, à travers des marques fonctionnelles que nous illustrerons dans cette analyse.

Notes
345.

Le terme ordinanza désigne la décision rendue par le juge pendant le procès pour régler son déroulement. Cf. l'art. 131 et 134 du Code de procédure civile et l'art. 125 du Code de procédure pénale. Le terme français ordonnance définit la décision rendue par le chef d'une juridiction ainsi que la décision rendue par les magistrats chargés de l'instruction. (R.Guillien, op.cit., p.314 ).

346.

Le terme decreto indique la mesure prise par le juge ou par le ministère public pendant les activités préparatoires du procès ou au cours du procès. Cf. l'art. 131 et 135 du Code de procédure civile et les articles 409, 424, 429, 450, 455, et de l'art.459 à l'art.464 du Code de procédure pénale. Il est difficile de fournir un équivalent en français, valable pour tous les cas dans lesquels les autorités juridictionnelles utilisent ce terme vu que les systèmes juridictionnels français et italien diffèrent de façon notoire.

347.

Cf. F. Del Giudice, op.cit., pp.1121-1124. Il convient de préciser que le terme sentenza désigne aussi bien les jugements des Tribunaux que les arrêts rendus, soit par une Cour d'appel, soit par la Cour de cassation, soit par les tribunaux administratifs.

348.

Cf. l' art.134 du Code de procédure civile et l'art.125 du Code de procédure pénale, et l'art.135 du Code de procédure civile et l'art. 459 et suivants du Code de procédure pénale.

349.

Tutti i provvedimenti giurisdizionali devono essere motivati. (…). Cf. F.Roselli, «Le sentenze devono essere comprese da tutti ?» in : I.Bologna, R.Borruso, T.De Mauro, Linguaggio e giustizia, Ancône, 1986, pp.21-31.

350.

Dans le langage juridique français, cette partie est appellée «les motifs du jugement». Voir R. Guillien, op.cit., p.296.

352.

Cf. R. Guillien, op.cit., p. 168

353.

Cf. art.132 du Code de procédure civile. Il dispositivo est la partie d'un jugement contenant la solution du litige où l'on annonce la décision, le commandement.

354.

La sentenza d'equità ou il giudizio d'equità est réglementé par les articles 113 et 114 du Code de procédure civile. Cette réalité juridique correspond dans le droit français au «jugement en équité» ( art.12, al. 5, 58 et 700 du nouveau Code de procédure civile). Cf. R. Guillien, op.cit., p. 194.

355.

G. Cornu, op.cit., 1990, p.336.

356.

Cf. C. Lavinio, Teoria e didattica dei testi, Florence., 1990, pp.92-93.

357.

G.Cornu, op.cit., 1990, p.336.

358.

Cf. R.Snel Trampus, La traduzione e i linguaggi giuridici olandese e italiano. Aspetti e problemi, Trieste, 1989, p.186.