Emetteur et destinataire

Spécifier qui est l’émetteur du jugement permet de mieux différencier les traits spécifiques du jugement par rapport à d’autres productions juridiques. Dans le cas du jugement d’une Pretura, l’émetteur officiel est le Pretore. C’est lui qui rend le jugement, et c’est lui qui le rédige. C'est ainsi que «l’organe fait entendre la voix de la personne qui le compose»362. Le juge unique applique individuellement (car il est seul dans son jugement) les règles du droit à un cas particulier. Il agit au nom du peuple italien (in nome del popolo italiano).

Dans les jugements rendus par les tribunaux (i tribunali), c’est le collège, formé par trois magistrats, qui délibère ; un juge, il giudice estensore (juge rédacteur) est chargé de rédiger la décision de justice (art.132 du Code de procédure civile). Si l’on reprend le schéma de la communication, l’émetteur officiel du message est alors le collège, la juridiction. Toutefois, le véritable auteur du texte juridictionnel est le juge rédacteur. Celui-ci remplit en même temps deux fonctions : celle d’émetteur du message (qu’il partage avec les autres membres du collège) et celle d’auteur du texte. Il paraît impossible de considérer le rôle rempli par le juge rédacteur comme subordonné par rapport au rôle du collège qui est l’émetteur officiel. En effet, s’il est vrai que le collège délibère, il est également vrai que le juge rédacteur est partie prenante dans la résolution prise.363 D'après la loi italienne, les modalités de la décision sont secrètes et par conséquent, les avis différents n’apparaissent pas dans les motifs. Ainsi, cette partie de la décision porte les marques de la neutralité et de l’objectivité.364

Il est aisé de repérer les émetteurs de cet acte juridictionnel. La partie initiale du jugement est conventionnelle : après la formule introductive qui marque l’autorité du jugement : in nome del popolo italiano, il y a toujours l’indication précise du tribunalchargé de l'affaire ainsi que les noms des auteurs du jugement dont on précise également la fonction : Presidente, giudice, giudice relatore, (Président, juge, juge rapporteur). Citons, à titre d’exemple, le début d'un jugement. Les émetteurs de la décision de justice sont clairement mentionnés :

‘Il Tribunale Civile di Foggia -Sezione Prima
composto dai signori Magistrati :
dott. Vincenzo MAGRONE Presidente
dott. Francesco INFANTINI
dott. Donato DANZA Giudice- relatore’

Dans le jugement, les destinataires, tout comme les émetteurs, sont indiqués clairement et immédiatement après les précisions concernant l’acte qui est réalisé. Par exemple, dans le jugement que nous venons de mentionner, on peut lire :

‘Sentenza
nella causa civile, in prima istanza, iscritta al numero 522 del ruolo generale 1986 in data 19.2.1986, e spedita alla pubblica udienza del 27.11.1990.
Tra
S. p.a. RAS -Assicuratrice Italiana, (…) attrice
Contro
CHIODI Michele (…) convenuto

Dès le début, les «rôles principaux» sont distribués : les émetteurs et les destinataires. Dans cette partie initiale du jugement, la précision souventinvoquéecomme trait caractéristique des langages spécialisés est respectée. Néanmoins les destinataires si clairement identifiés et précisés qu'ils soient, sont-ils les seuls destinataires du message ? Dans ce cas également, comme pour l’émetteur, la situation est plus complexe qu’il ne le semble. Car s’il est vrai que le jugement s’adresse en premier lieu aux justiciables ainsi définis, ces derniers ne sont pas les seuls destinataires. Le juge est tenu de motiver sa décision, il doit donc justifier le bien-fondé de son raisonnement car sa décision peut être attaquée. Cette réalité présuppose d'autres destinataires : les avocats défenseurs des parties, les juges qui pourraient devoir trancher en appel sur la même affaire, les spécialistes du droit qui pourraient vouloir commenter le jugement.

Donc, le texte juridictionnel qui semble être le lieu privilégié de la rencontre entre le spécialiste (le juge) et le profane (le justiciable), ne serait-ce pas aussi le lieu de rencontre de plusieurs destinataires (les professionnels du droit tout comme les justiciables) ? Ainsi, il ne s'agirait plus d'un message entre un spécialiste et un profane, mais d'un message entre spécialistes dont l'objet concerne un profane ou une situation qui le regarde personnellement. La personne visée se trouve donc à jouer à la fois le rôle de destinataire et d'objet du message. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que si le justiciable est le premier destinataire du jugement, il est obligé d'être représenté en justice par un avocat. Jamais, il ne peut comparaître devant la juridiction sans la présence et l'assistance de son défenseur. Seule exception consentie, devant le juge de paix (il giudice di pace) où chacun peut se présenter seul, si la cause à défendre ne dépasse pas un million de lires365. Dans un autre cadre, on pourrait s'interroger sur les raisons politiques de ce choix de la législation italienne, qui prévoit la présence constante d'un avocat à côté du justiciable dans toute action en justice. Nous nous limitons à constater que le justiciable est le destinataire immédiat de la décision, mais non le destinataire exclusif, ou tout au moins, c'est un destinataire «assisté» par un professionnel du droit.

Notes
362.

Cf. G.Cornu, op.cit., 1990, p.337.

363.

Cf. R.Snel Trampus, La traduzione e i linguaggi giuridici olandese e italiano. Aspetti e problemi. Trieste, 1989, p.186.

364.

Cf. M.Taruffo, «La fisionomia della sentenza in Italia» in : Università degli Studi di Ferrara, La sentenza in Europa. Metodo tecnica e stile, Padoue, 1988, p.208.

365.

L'art. 82 du Code de procedure civile dit : Le parti non possono stare in giudizio se non col ministero o con l'assistenza del difensore. Davanti al giudice di pace le parti possono essere in giudizio personalmente nelle cause il cui valore non eccede un milione.