Stylistique du texte juridictionnel

Prendre en considération les marques stylistiques propres à tous les jugements étudiés a son importance. La présence des latinismes, l'usage des temps, le choix entre la forme passive et la forme active, les formules rituelles que nous avons déjà évoqués ne sont pas exclusivement des marques fonctionnelles, mais ce sont à bien des titres également des éléments stylistiques.

De toute façon, il y a des choix délibérés du rédacteur, des choix qui ne sont pas liés à la structure et à la fonction du texte. Toutefois, il est difficile de différencier ce qui est fonctionnel de ce qui dépend d'un choix individuel. Les latinismes, par exemple, constituent souvent un outil de synthèse très important qui permet de satisfaire les exigences de précision des juristes, ce qui revient à affirmer une certaine fonctionnalité du latin dans ce contexte. Toutefois, ces latinismes, considérés sous un autre point de vue, sont une expression flagrante de l'esprit conservateur du milieu juridique ; leur présence témoigne du caractère traditionnel et arcahïque du discours juridictionnel.

Il va de soi que chaque jugement est l'oeuvre d'un juriste en dépit des structures codifiées et de formules stéréotypées. Autant de styles de jugement que de juges. Toutefois, à leur façon, tous utilisent l'expression rare et archaïque à la place des expressions courantes. L'italien s'y prête vu qu'il est riche en doublets. Ceci vaut tant pour le lexique que pour la syntaxe. Les exemples sont si nombreux qu'il a semblé judicieux de les classer par catégorie grammaticale et de les illustrer dans leur contexte.

Pour ce qui est de l'usage des adverbes et des locutions, la gamme est importante : all'uopo, altresì, benvero, di guisa che, d'uopo, in ossequio a, invero, orbene, onde, ove… Ainsi, dans la partie Svolgimento del processo de la sentenza 7/6/1991 :

‘(…) M. A. presentò quale amico D. S. A., marito della M. A. M., facendo la richiesta di acquisto di manufatti della fabbrica per arredare i locali ove costei doveva gestire (…). ’

Dans les motifs de la sentenza 5/11/1991 :

‘Esattamente si rileva dalla difesa del convenuto che in virtù di tale rapporto giuridico l'obbligazione principale del proprio assistito non era quella di custodire il mezzo, bensì di ripararlo, cioè essa ebbe ad oggetto (…); ondela fattispecie, ai fini della responsabilità configurata dall'istante non va inquadrata (…). ’

Dans les motifs de la sentenza 18/11/1994 :

All'uopooccorre rilevare che, sul punto, è cessata la materia del contendere in forza della sentenza n.546/1989 di questo Tribunale, passata in giudicato. ’ ‘ Invero, la ditta De Lucia, in ordine alla richiesta di risarcimento dei danni per la sussistenza di gravi difetti nell'opera eseguita, ha eccepito, in questo giudizio - ed in quell'altro che si profilava connesso, conclusosi con la predetta sentenza - la decadenza della ditta Iungo e Tomasicchio, ai sensi dell'art.1667 c. c., per non aver, l'attrice in riconvenzionale, denunciato i gravi difetti dell'opera nel prescritto termine di decadenza. ’ ‘ Orbene in quel giudizio, attraverso l'escussione di alcuni testi, peraltro riascoltati anche in questo giudizio, il Tribunale aveva accolto l'eccezione di decadenza dall'azione di risarcimento dei danni.’

Dans les cinq exemples, l'usage de formes plus courantes, telles que dove, nei quali, pour le premier exemple, de perciò, per questa ragione, pour le deuxième, de al bisogno pour le troisième, de davvero ou veramente pour le quatrième et de dunque pour le dernier exemple ne porteraient porté aucun préjudice à la clarté du message. Le rédacteur a tout simplement opté pour la formulation la plus savante. Par ailleurs, ces marques montrent également le souci de la variété de l'expression de la part du rédacteur. Car, s'il est vrai que ces locutions et ces formes adverbiales sont présentes dans tous les jugements, il est également vrai que ce ne sont pas les seules à être utilisées ; le juriste emploie également des formulations moins «marquées» stylistiquement telles que dove, pertanto. Pour ce qui est des adjectifs et des pronoms démonstratifs, il utilise à l'envi : tale, medesimo, costui, costei, codesto.

La recherche lexicale dans les mots non techniques est évidente, même si dans nos textes nous n'avons pas trouvé les «perles» repérées par T.De Mauro405 comme la métonymie sacri bronzi au lieu de campane, l'euphémisme congresso carnale au lieu de coito.

Cependant, les mots rares sont nombreux : ainsi, le juge dit erogare valori economici au lieu de spendere somme di denaro ; attingendo l'auto au lieu de toccando l'auto ; attagliarsi alla fattispecie au lieu de adattarsi alla fattispecie ; vertendosi in tema di au lieu de trattandosi di ; azione di risarcimento esperibile dal danneggiato au lieu de realizzata ; conseguire il ristoro del danno au lieu de il risarcimento del danno ; avverso au lieu de contro ; suffragano ampiamente la ricostruzione au lieu de confermano…. Qui plus est, les expressions latines sont légion, comme nous l'avons montré dans la partie consacrée aux latinismes.

Sur le plan de la syntaxe, il y a d'autres marques qui soulignent la recherche d'un style soutenu : la présence de tournures absolues aussi bien gérondives que participiales. Celles-ci rappellent la structure latine de l'ablatif absolu. Elles appartiennent à la langue écrite et permettent au rédacteur d'exprimer de façon synthétique sa pensée et de nuancer son discours.

‘In corso di causa, verificata la regolarità della notificazione dell'atto di citazione, veniva dichiarata la contumacia della convenuta. (Sentenza31/3/1992). ’ ‘(…) il quale impone al datore di lavoro di corrispondere per tutto il periodo dell'infortunio «la normale retribuzione netta mensile di cui all'art.41 », comprensiva dell'indennità di infortunio a carico dell'INAIL, costituendo detto importo semplicemente un anticipo di cassa , da assoggettare al conguaglio. (sentenza 17/11/1994 ) ;’ ‘Il conteggio effettuato dal CTU, essendo conforme ai suddetti principi interpretativi, va dunque ritenuto esatto, per cui la società appellante era effettivamente tenuta a versare a ciascun appellato le somme sopra indicate. (sentenza 17/11/1994 ) ; ’ ‘ Avendo la XY ingiustamente contestato in primo grado in radice la pretesa creditoria dei lavoratori, le spese relative alla predetta fase pretorile (come liquidate nella sentenza impugnata) vanno poste a suo carico per tre quarti, con la compensazione della restante frazione, mentre appare giusto compensare interamente tra le parti le spese relative a questo secondo grado del giudizio, avendo gli appellati imprudentemente resistito alla quantificazione del loro credito prospettata dalla appellante nei conteggi all'uopo predisposti, risultati, all'esito dell'espletata consulenza tecnica, sostanzialmente esatti. (sentenza 17/11/1994 ).’

D'autres exemples de structures qui n'existent plus dans l'italien d'aujourd'hui sont présents ; il y a par exemple des enclises du pronom clitique si avec des formes verbales à l'indicatif : trovavasi, prodottasi (Sentenza 7/6/1991), vedansi (Sentenza 31/3/91). Ce trait est la marque indéniable d'un certain penchant des juristes pour lesformes désuètes406, le critère de la concision n'étant pas pertinent pour justifier cet usage (un mot au lieu de deux). Par ailleurs, le recours à cette structure crée un effet supplémentaire de dépaysement pour le lecteur ou le destinataire non-initié.

Une autre marque qui caractérise le langage écrit et notamment un usage formel de la langue est la présence de l'article déterminatif devant le nom des parties. Cet usage est respecté systématiquement, que ce soit une femme ou un homme. Ainsi, nous pouvons citer : verso' al Cellamare la somma di… con tre assegni (il primo di lire…, il secondo di lire… a firma della Morra (…) (Sentenza 7/6/1991). Par ailleurs, l'usage de l'article devant le nom des personnes permet d'obtenir un ton plus détaché, neutre et objectif. Les parties lors d'un jugement sont toujours appelées par leur nom de famille précédé de l'article ou par le rôle qu'elles remplissent dans ce cadre : l'attore (le demandeur), l'attrice (la demanderesse), il convenuto (le défendeur), la convenuta (la défenderesse). Cet usage de l'article constitue ainsi une marque supplémentaire du souci de neutralité du rédacteur.407

Une ultérieure marque de langage soutenu est constituée par l'usage d'esso en tant que démonstratif anaphorique. Son utilisation a une connotation extrêmement littéraire. Placé devant le substantif qu'on vient de nommer, il permet de le mettre en évidence408et d'éviter toute ambiguïté. Citons quelques exemples :

‘All'uopo, riferiva che detti lavori erano stati, a loro volta, appaltati, ad essa convenuta, dalla ditta XY la quale aveva instaurato un autonomo giudizio a carico di essa convenuta, lamentando una serie di gravi difetti nell'esecuzione (…) (Sentenza 18/11/1994).’

Il est aisé de constater dans cette phrase le souci de précision du rédacteur, qui souligne le rôle joué par la partie défenderesse en répétant deux fois d'affilée le même syntagme.

L'ordre des constituants de la phrase est également différent par rapport à l'usage courant de l'italien. L'inversion du sujet et du verbe est parmi les exemples les plus fréquents dans notre corpus. Ainsi :

Assumeva l'attriceche la S.r.L. De Simone con n.2 bolle di accompagnamento e relative fatture nn.A/185-186 (…) ;’ ‘ Lamentavainfine l'attriceche, nonostante tali assicurazioni, la detta convenuta non si era preoccupata, (…) (Sentenza 31/3/1992);’ ‘ Si costituiva l'opposto… (Sentenza 16/1/1997) ;’ ‘ Opina, pertanto, il collegioche… ritiene il collegio di poter liquidare (Sentenza 7/5/1991).’

L'ordre habituel inversé souligne la valeur sémantique du mot, c'est sur le verbe qu'on attire l'attention. Ce trait s'explique par l'intention du juge d'objectiver la réalité, de mettre l'accent sur l'action et non sur les sujets. Mais l'exigence de précision du langage juridictionnel prime et ainsi, le juge introduit le sujet. Encore une fois, l'usage de la langue du rédacteur montre l'intention d'atteindre la neutralité dans l'expression et de rendre compte de la réalité de la façon la plus incisive. Peut-on dire qu'il s'agit d'un artifice stylistique utilisé par le juge ? Un moyen de mettre en valeur son interprétation de la réalité ? La réponse ne peut être que positive. Certes, le juge défend la cause commune, celle de la vérité, ce qu'on appelle l'intérêt général. Néanmoins, il doit convaincre du bien fondé de ses arguments. La cassure de l'agencement naturel de la phrase est un moyen de donner un caractère plus incisif à son propos. Ce trait a été déjà mis en relief dans la partie consacrée à la stylistique des textes législatifs, où nous l'avons traité plus amplement.

Quant à la construction des énoncés, on peut parler «d'usage labyrinthique de l'hypotaxe»409. En effet, le rédacteur a tendance à développer un concept à l'intérieur d'un paragraphe et à vouloir faire coïncider le paragraphe avec une phrase unique. Ainsi, il respecte le principe qu'à chaque paragraphe correspond un seul argument410, ce qui devrait faciliter l'organisation du texte et par conséquent sa compréhension. Toutefois, cette tendance amène le rédacteur à construire des énoncés extrêmement complexes, riches en subordonnées. Son texte devient ainsi moins facilement accessible et lisible. En effet, l'un des paramètres fondamentaux pour évaluer la lisibilité d'un texte est le nombre de mots de chaque phrase.Notre étude n'est pas délibérément quantitative, les moyens informatiques actuels rendent encore difficile l'évaluation de cet aspect des jugements étudiés. Toutefois, l'utilisation de ce seul critère nous permet de comprendre comment et combien la compréhension est difficile pour le «destinataire assisté» de cet acte de la justice. D'après les études de lisibilité411, un énoncé doit compter entre 25 et 30 mots pour atteindre un bon niveau de lisibilité, tandis qu'un énoncé de 50 mots est considéré de lisibilité difficile. Or, dans les jugements examinés, les énoncés qui comptent entre 25 et 30 mots sont la minorité. En revanche, la majorité des énoncés est constituée d'un nombre important de mots, car le rédacteur dans son souci de précision et d'explicitation, construit des énoncés complexes, riches en subordonnées, à tel point qu'on peut véritablement parler d'usage labyrinthique de l'hypotaxe.

Les énoncés complexes sont nombreux tant dans le résumé des circonstances de la cause, où le rédacteur doit définir et préciser le rôle joué par chacune des parties, que dans l'exposé des motifs de sa décision, où il est amené à interpréter la réalité d'après la loi. La partie introductive ainsi que le dispositif ne contiennent pas ce type d'énoncé, car il s'agit de parties standardisées et conventionnelles. Citons deux exemples significatifs tirés respectivement le premier de la partie du résumé des circonstances de la cause et le deuxième de l'exposé des motifs. Les deux font partie de la sentenza 17/11/1994.

‘1. Avverso i decreti ingiuntivi, emessi tutti in data 18 settembre 1991, il C. n.S. Puglia, con separati atti del 14 ottobre 1991, proponeva opposizione deducendo di aver corrisposto ai predetti lavoratori nei periodi di infortunio la normale retribuzione netta mensile di cui all'art.41 del C. C. n.L., comprensiva anche della indennità di inabilità, che esso datore di lavoro era tenuto per legge ad anticipare, e che perciò non doveva versare alcuna differenza rispetto agli importi poi liquidati dall'INAIL, in quanto questi ancorché superiori alle somme anticipate a titolo d'indennità erano comunque inferiori alle somme percepite da ciascun dipendente a titolo di «retribuzione normale », comprensiva della medesima indennità d'infortunio a carico dell'INAIL, nella perfetta osservanza di quanto stabilito dall'art.33 della detta contrattazione collettiva invocata dagli stessi lavoratori.
2. Dopo aver in primo grado contestato in toto le pretese creditorie dei lavoratori così come specificate nel decreto ingiuntivo opposto, sul rilievo che «nessuna eccedenza si è verificata e che nessuna somma ulteriore avrebbe dovuto e deve versare essa società datrice di lavoro…"posto che"…come è dato rilevare dalle buste paga in atti (e come specificato nel conteggio in atti - doc. to n.3) per ciascun periodo di paga e complessivamente, l'importo della indennità INAIL è stato inferiore alla normale retribuzione, la S. r. l. C. n.S. Puglia nell'atto di appello - pur impugnando la sentenza del Pretore che in definitiva ha evidenziato come fosse veramente difficile contestare il diritto dei lavoratori infortunati a percepire la differenza tra quanto percepito dalla società a titolo di indennità d'infortunio e quanto corrisposto a quest'ultima dall'INAIL, attesa la estrema chiarezza dell'art.33, 6°comma del C. C. n.L., ha mutato atteggiamento difensivo, riconoscendo di aver corrisposto ai lavoratori, a titolo di retribuzione normale somme inferiori a quelle versate dallo INAIL, precisando comunque che le «eccedenze» dovute a ciascun lavoratore, ai sensi del citato art.33, sarebbero inferiori agli importi indicati nel decreto ingiuntivo. ’

C'est un fait que ce type d'énoncé où la phrase principale est noyée dans une série de subordonnées, pour la plupart implicites, rend le style des jugements lourd et difficile à comprendre. Le destinataire doit «démêler» les différentes subordonnées implicites : les expliciter pour comprendre la construction de la phrase. Cette preofusion de subordonnées implicites s'explique par la nécessité pour le rédacteur de tout préciser. Revenons à notre exemple n°1. Le rédacteur précise :

  • les injonctions de payer decreti ingiuntivi : emessi tutti in…, con separati atti del ;
  • le motif de l'action en justice de la partie demanderesse deducendo di aver corrisposto ai predetti lavoratori nei periodi di infortunio la normale retribuzione ;
  • le calcul de la retribuzione, et
  • les éléments qu'elle contient di cui (…) comprensiva, et ainsi de suite.

Le souci de précision prévaut sur l'exigence de rédiger des énoncés ayant une structure plus claire. L'exigence d'exactitude amène le juge à puiser dans toutes les ressources de la syntaxe italienne pour construire des énoncés les plus circonstanciés possibles, pour éviter toute ambiguïté. Le résultat, ce sont des énoncés très denses qui contribuent à créer l'image d'un style lourd et éloigné de la langue courante. En même temps, l'hypotaxe traduit le raisonnement du rédacteur, sa pensée. Ainsi, elle devient plus complexe, elle s'articule en plusieurs subordonnées liées à la principale par des liens tantôt de cause, tantôt de concession, tantôt d'hypothèse. La formulation devient de plus en plus raffinée et nuancée. Citons un passage du jugement du7/6/1991 :

‘Orbene, nel caso di specie, stante la contestazione della convenuta, poichè l'attore non ha dimostrato in alcun modo - nè documentalmente nè per prove orali - che il contatto di compravendita è stato stipulato in M. d. S. e che le obligazioni nascenti dallo stesso contratto dovevano essere eseguite nel medesimo luogo e poichè da nessun atto del processo emergono elementi di prova per avallare un tale assunto, non resta che dichiarare l'incompetenza per territorio di questo adito Tribunale, essendo competente, quanto meno sotto il profilo del foro generale ex. art.18, il Tribunale di T. ’

Avant d'arriver au point, il faut lire 92 mots. La proposition principale (soulignée) arrive presque en dernière position par rapport au reste de la phrase, elle est précédée d'une subordonnée causale (poichè l'attore non ha dimostrato…) qui régit à son tour deux subordonnées conjonctives (che il contratto… e che le obbligazioni…), et qui est coordonnée à une deuxième causale (poichè da nessun atto del processo…) qui régit une finale (per avallare). Après la principale, le rédacteur a aussi la possibilité, grâce à l'usage du gérondif, d'introduire une subordonnée causale (essendo competente) et de fournir d'autres précisions (quanto meno sotto il profilo….). C'est la ductilité de la langue italienne qui permet au rédacteur de construire ce type de phrases et de nuancer autant que possible la réalité.

Les traits stylistiques mis en relief montrent un souci esthétique toujours sous-jacent : recherche lexicale, préférence pour des tournures ayant une connotation littéraire, latinismes, archaïsmes. Le style des jugements est sans aucun doute un style soutenu, difficile à déchiffrer pour le destinataire réel du jugement. Les barrières sont nombreuses et, de difficulté différente, elles concernent le vocabulaire utilisé tout comme la syntaxe. Lerédacteur privilégie la précision, la synthèse, la tradition (à travers les formules rituelles), les latinismes et les formulations archaïques. Mais il ne prend pas en compte les capacités de compréhension du justiciable, choisit souvent les expressions les plus rares. Certes, le destinataire final est assisté par son interprète : l'avocat. Ce dernier n'a aucun problème pour déchiffrer ce langage et ce style. Alors peut-être est-ce pour cette raison que le rédacteur ne se soucie pas de simplifier, quand c'est possible, son texte. Alors le texte, tel qu'il nous est donné, n'a comme destinataire véritable que le spécialiste du secteur. Bien sûr, le Code prévoit une présence du spécialiste à côté du justiciable. Toutefois, le premier alinéa de l'article 3 de la Constitution garantit l'engagement de l'Etat pour que tous les citoyens puissent participer à la vie politique, économique et sociale du pays. Mais que d'entraves pour les justiciables ! Si les rédacteurs de ces actes prennent en compte cette donnée, l'exercice et l'image de la justice ne pourront qu'en profiter. Par ailleurs, l'introduction des banques de données et du système informatique contribue déjà à des changements notoires.

Le juge P.Pescatori412 fait remarquer, sur la base de l'expérience de la Cour de Justice des Communautés Européennes, que l'usage de l'ordinateur pour stocker et repérer les jugements demande aux rédacteurs le respect de certaines règles, sans pour autant sacrifier la précision et la rigueur. Il explique que les «concepts juridiques doivent être explicites, univoques et homogènes» et qu'il faut «rendre apparente la structure logique du raisonnement, de manière à la rendre perceptible à l'informaticien (…)». Il faut «éviter les constructions logiques trop compliquées et les fonctions logiques ambiguës». Il faut donc, utiliser le style le plus simple, car l'ordinateur accepte mal «les réserves, les conditions, les exceptions entassées sur d'autres exceptions». L'usage de l'outil informatique oblige le juge à s'exprimer le plus clairement possible, s'il veut pouvoir s'en servir efficacement par la suite. Une autre étude pourra examiner les jugements rendus en italien des instances européennes. Ce travail ne concerne que le langage juridique dans un cadre national. Du reste, dans les instances européennes, les procédures judiciaires se déroulent dans la langue de la partie demanderesse, et le français est la langue de la communication entre les magistrats lors des délibérations.413 Ensuite seulement, le texte est traduit. Ainsi, les magistrats qui travaillent dans ce cadre multiculturel et plurilingue ont plus que d'autres sans doute le souci de la clarté du langage.

En conclusion, le style des jugements que nous avons remarqué ne peut survivre à ces nouvelles contraintes. L'informatisation contribue irrévocablement à la démocratisation du langage juridique. M.A.Cortellazzo affirme que si les juges et les avocats utilisent volontairement un style soutenu, c'est un reflet du statut social qu'ils se reconnaissent. Il est difficile de partager complètement cette affirmation. Le poids de la tradition pèse davantage dans la balance de Thémis.

Notes
405.

T.De Mauro, «Minima Linguistica», in: Il Mulino, n.211, 1970, p.385 ; T.De Mauro, Le parole e i fatti, Rome, 1977, cité par M.A.Cortellazzo, «Lingua e diritto in Italia. Il punto di vista dei linguisti», in : L.Schena (dir.), Lingua e Diritto in Italia. Difficoltà traduttive. Applicazioni didattiche, Rome, 1997, pp.35-50.

406.

En italien ancien, cet usage était obligatoire au début de la phrase ou d'un vers. L.Serianni cite à ce propos : Stavvi Minos orribilmente, e ringhia (Dante, Inferno, III 4). Par la suite, l'enclise a graduellement disparu de la langue parlée pour ne rester que dans la langue écrite et notamment dans la langue littéraire et juridique. Actuellement, ce fait de langue ne reste que dans les petites annonces vendesi, affittasi, et dans le style télégraphique des télégrammes. En dehors de ces domaines, cet usage est la marque d'un style soutenu et archaïsant. (Cf. L.Serianni, Grammatica italiana. Italiano comune e lingua letteraria, Turin, 1991, p.260).

407.

Pour les noms féminins, la norme prescrit l'usage de l'article, mais la tendance est à l'abandon de cette règle. Probablement pour des raisons de rapidité, d'économie et d'homogénéité avec les noms masculins. Précisons que la norme pour l'usage de l'article déterminatif n'est pas claire : les grammaires ont souvent des avis partagés.. Toutefois, malgré cette incertitude, la langue parlée tend à ne pas utiliser d'article devant les noms de personnes non célèbres, sauf en Toscane et dans des situations bien précises : un procès en justice et donc, un cadre très formel ou un cadre opposé, totalement informel dans lequel cette pratique permet d'ajouter une connotation de moquerie. En revanche, avec les noms des personnes célèbres l'usage de l'article reste courant, même si des règles fixes ne peuvent pas être évoquées.(Cf. L.Serianni, op. cit., 1991, pp.170-171 et J.Brunet, Grammaire critique de l'italien, 2 (L'article), Paris, 1979, pp.68-69.

408.

Cf. L.Serianni, op.cit., 1991, p.284.

409.

Cf.L.Rega, op.cit., 1997, p.120.

410.

Cf. F.Sabatini, op.cit., p.721. Le linguiste italien fait le même type de constatation à propos du langage législatif. En effet, dans le langage législatif existe la tendance à vouloir faire correspondre à chaque concept, une phrase et un alinéa. Il va de soi que la phrase est formée de plusieurs éléments organisés de façon hiérarchique. Le résultat de cette préférence sont des alinéas de 25-30 lignes. Ainsi, les capacités du lecteur de pouvoir comprendre le texte sont mises à dure épreuve.

411.

F. De Renzo, «Testare il testo unico» in : E.Zuanelli (dir.), Il diritto all'informa-zione in Italia, Rome, 1990, p.251.

412.

P.Pescatori, «L'influence de l'ordinateur sur le style des jugements» in : Università degli studi di Ferrara, La sentenza in Europa. Metodo, tecnica e stile, Padoue, 1988, pp.413-416.

413.

F.Capotorti, «Le sentenze della corte di giustizia delle comunità europee» in: Università degli studi di Ferrara, La sentenza in Europa. Metodo, tecnica e stile, Padoue, 1988, pp.230 -247.