Emetteur et destinataire

Le contrat est avant tout l'expression d'un accord. Ainsi, il a au moins deux auteurs, les parties (le parti). Toutefois, la rédaction de cet acte juridique n'est pas toujours l'oeuvre des parties concernées comme c'est le cas lors d'un acte sous seing privé (scrittura privata). Lors d'un acte notarié, c'est le notaire417, en tant qu'officier public, qui est chargé de conférer l'authenticité aux écritures des parties.

Le notaire est le traducteur des volontés des parties. C'est à lui que revient le devoir d'exprimer leur accord dans un langage juridique conforme aux usages et à la loi. C'est le notaire qui rédige le contrat ; les parties, par leur signature, l'acceptent comme étant la manifestation de leur volonté commune. Elles ne sont pas les auteurs matériels de cet acte.

Ainsi, lors d'un contrat notarié, le rédacteur de l'acte est un spécialiste du droit, et non un profane. Sa présence et son rôle de «récepteur» de la volonté des parties sont annoncés dès le début. En effet, dans la formule d'introduction de tout contrat sont mentionnés : la date, le lieu de l'établissement du contrat et l'adresse du cabinet du notaire, l'officier public chargé de recevoir les actes instrumentaires418 des parties. Par exemple :

‘L'anno millenovecentonovantotto «1998 », il giorno ventisette «27» del mese di novembre, in (…) e nel mio studioalla (…).’

La formule d'usage qui suit montre clairement la présence du notaire :

‘Dinanzi a me Dott. X, Notaio iscritto (…)419.’

Ces marques linguistiques confèrent l'authenticité au texte : c'est la présence du notaire qui rend le contrat conforme à la loi. Sa présence est également mentionnée à la fin de l'acte juridique, où le notaire mentionne clairement son rôle en tant que rédacteur du texte. La formule est presque toujours la même dans les contrats analysés :

‘Richiesta, io Notaio ho redatto il presente atto, che ho letto ai Costituiti, i quali, a mia domanda, dichiarano di approvarlo e con me lo firmano nei modi di legge; scritto a parte a macchina con (….).420

Cette formule illustre clairement la complexité de la situation de communication lors d'un contrat notarié : les parties, des profanes, signent avec le notaire, le spécialiste, la rédaction de leur accord. Dans les jugements et dans les textes législatifs examinés, les émetteurs sont toujours des spécialistes. Dans le jugement, c'est le juge ; dans le texte législatif, c'est le législateur ; dans un contrat notarié, ce sont les parties assistées par le notaire qui «traduit leurs volontés» en rédigeant un texte dans des termes qui le rendent conforme à la loi.

S'il s'agit d'un contrat sous seing privé (dans le corpus, c'est le cas du mandat d'agence, du contrat de revente, du contrat de franchise, du contrat de fourniture), la présence d'un notaire n'est pas nécessaire. Toutefois, l'usage, de plus en plus répandu, veut que lorsqu'il s'agit de contrats concernant des entreprises, la rédaction soit toujours confiée à un juriste. L'explication de cette pratique est bien évidente : les conséquences économiques peuvent être importantes en cas d'erreur.

Tous les actes sous seing privé présentés dans l'annexe sont l'oeuvre de juristes. Il s'agit en effet de contrats concernant des sociétés ; celles-ci veulent se protéger contre des erreurs éventuelles et ont recours aux juristes pour la rédaction. Alors que dans le contrat notarié, le rédacteur du texte est clairement indiqué, dans le cas des contrats sous seing privé, seules les parties sont mentionnées. Par exemple, dans le mandat d'agence421, on peut lire :

‘Tra la ditta X rappresentata dall'Amministratore, nato a (…) il (…), con sede in (…) alla via (…)- C.F. (…) avente per oggetto la vendita di prodotti surgelati, d'ora in avanti chiamata solo Preponente , ed la sig.na YZ, nata a (…) il (..) ed ivi residente alla via (…), C.F. (…)si conviene e si stipula quanto appresso : (…).’

Les auteurs du texte sont bien les parties, le juriste est ici un «traducteur» invisible de la volonté des parties. Sa présence n'est pas prévue par la loi, donc aucune formule ne le mentionne. Est-ce la seule grande différence entre les contrats notariés et les contrats sous seing-privé ? La question mérite d'être éclaircie. Il semble également important de vérifier si le différent statut social des émetteurs a des répercussions linguistiques. Précisons qu'en Italie, il est possible d'accéder à cette profession après avoir été reçu à un concours public ouvert aux personnes ayant une maîtrise en droit et après avoir effectué un stage de deux ans chez un notaire. Ce dernier est donc un représentant de l'Administration alors que les parties ne sont que des particuliers. Néanmoins, l'intention des émetteurs est la même dans les deux grandes catégories de notre analyse : prescrire des règles entre les différentes parties afin de réaliser un rapport juridique patrimonial.Le contrat est un texte normatif422 : il crée des obligations strictes, il a force de loi.

Dans un contrat, le texte précise immédiatement que les parties sont à l'origine du consentement, objet du contrat. Ce sont elles qui s'engagent, ce sont elles qui déclarent leur volonté commune : Detti comparenti, (…) convengono e stipulano quanto segue (…) 423. Leur rôle est clairement énoncé. Toutefois, elles ne doivent pas se limiter à créer le message, mais doivent également le recevoir. Ainsi, les parties sont en même temps les émetteurs et les destinataires. La démonstration immédiate de cette affirmation réside dans le fait que chaque partie conserve une copie du contrat, preuve de l'existence d'un accord écrit.

La situation de communication est plus complexe lors d'un contrat notarié du fait de la présence du notaire à côté des parties.Ce dernier, en sa qualité de représentant de l'Etat, est également le destinataire de cet acte juridique. C'est sa fonction : il est chargé non seulement de le rédiger, mais aussi de l'enregistrer et de constater sa conformité à la règle générale. La preuve : il le signe avec les parties. C'est le destinataire «spécialiste» qui assiste les parties dans l'établissement du contrat. Encore une fois, la situation de communication est plus compliquée qu'elle ne le semble à première vue. La présence d'un destinataire juriste permet de justifier ou tout au moins de comprendre les choix linguistiques du notaire lors de la rédaction du contrat.

En revanche, dans un contrat sous seing privé, les émetteurs et les destinataires du contrat peuvent être des non-spécialistes. Ceci est la première grande différence par rapport aux autres textes examinés.

Notes
417.

Cf.F.Del Giudice, op.cit.,1992, p.804 : Notaio : Pubblico ufficiale cui la legge attribuisce il compito di ricevere atti, sia tra vivi che di ultima volontà, allo scopo di attribuire loro pubblica fede.

418.

V. R.Guillien, op.cit., p.8. Un «acte instrumentaire» est un écrit destiné à prouver l'existence d'une situation juridique, cette situation pouvant résulter d'un «acte» (au sens de negotium) ou d'un fait juridique.

419.

Les deux phrases dans la partie introductive de Compravendita 27/11/1998.

420.

Compravendita 14/11/1994. Dans cet acte qui se trouve en annexe, le Notaire est une femme, ce qui explique l'accord du participe passé.

421.

Mandato di agenzia e rappresentanza.

422.

Cf. F.Sabatini, op.cit., 1990, p.695.

423.

Compravendita 27/3/1995.