3.2 La conception médiévale du monde et le symbolisme : la façon de penser du spectateur

Le Moyen Age croyait à une conception harmonisée du monde, chargée de symboles. Les figures symboliques auxquelles il était si attaché et les correspondances qu'il établissait entre elles lui permettaient d'expliquer les choses par leurs origines. Cette démarche essentiellement déductive lui ouvrait une porte vers l'au-delà, d'où l'importance des images arborescentes pour expliquer le non vu, le sens caché des choses. Dans chaque support symbolique il y a un terme "supérieur" et un terme "inférieur" — cette conception du rapport symbolique, du simple vers le sublime, était l'expression de l'harmonie universelle.

Cette attitude à qui l’on peut attribuer le terme de symboliste est liée à la conception du monde appelée au Moyen Age "réalisme" et que nous appellerions plus volontiers aujourd'hui "idéalisme platonique". Du point de vue causal le symbolisme se présente comme une espèce de "court-circuit de la pensée" pour emprunter l'expression de J. Huizinga 85 . La pensée ne cherche pas le rapport entre deux choses en suivant leur relations causales, mais fait un bond, le découvrant tout à coup, non comme une connexion de cause ou d'effet, mais comme une connexion de signification et de finalité. L'interprétation symbolique du monde, embrassant toute la nature et toute l'histoire, a introduit un ordre rigoureux, une structure architectonique, une subordination hiérarchique dans le monde. La conscience de la majesté divine se transfuse dans toutes les conceptions de l'esprit, leur donnant une haute valeur esthétique et morale. J. Huizinga souligne cet aspect qui nous permet de mieux comprendre pourquoi tant d’éléments hétéroclitesavaient leur place dans l'éthique et l'esthétique du Moyen Age :

‘Nulle chose n'est trop humble pour figurer le sublime et le glorifier. [...] tout sert à élever la pensée vers ce qui est éternel; [...] 86

Nous courons le risque d'entrer dans la querelle des universaux et celle des nominalistes, entre ceux qui déclaraient les universalia ante rem et ceux qui étaient partisans de la doctrine des universalia post rem. Ce sont les idées qui dominent les expressions de la pensée et de l'imagination qui nous intéressent, la façon de penser de "l'esprit primitif" qu'est le "réalisme" (au sens scolastique), selon les termes de J. Huizinga :

‘Pour l'esprit primitif, tout ce qu'on peut nommer est une entité et prend une figure qui se projette sur le ciel. Cette figure, dans la plupart des cas, sera la forme humaine. 87

De tout temps le symbolisme a eu tendance à devenir purement mécanique et à dégénérer en habitude ou en exercices compliqués et factices.Mais pour le XVe siècle il faut souligner que ce genre ne manquait pas d'intérêt et que le symbolisme et l'allégorie , sa "servante" selon Huizinga, n'avaient pas perdu leur force vivante. Chaque idée pouvait être considérée comme une entité et chaque qualité comme une essence : l'imagination leur donnait une forme figurée personnelle et elles pouvaient se trouver ainsi sur la scène des jeux allégoriques.

Pour J. Huizinga, le symbolisme est un mode de pensée, mais l'allégorie est un mode d'expression :

‘Tout réalisme, au sens scolastique, mène à l'anthropomorphisme. Après avoir attribué à l'idée une existence réelle, l'esprit voudra voir cette idée vivante et ne le pourra qu'en la personnifiant. Ainsi naît l'allégorie . Elle n'est pas la même chose que le symbolisme. Celui-ci constate un rapport mystérieux entre deux idées, l'allégorie donne une forme visible à la conception de ce rapport. Le symbolisme est une fonction très profonde de l'esprit. L'allégorie est superficielle. Elle aide la pensée symbolique à s'exprimer mais elle la compromet en même temps en substituant une figure à une idée vivante. La force du symbole s'épuise dans l'allégorie. 88

Nous sommes en droit d’émettre quelques réserves sur cette conception quelque peu réductrice et étriquée de l’allégorie . La "vieille" allégorie, dans son acception herméneutique, confirme les idées reçues, soutient le dogme, justifie l'autorité. C'est un poignard de la foi. Mais il ne faut pas oublier que dans son acception rhétorique ou poétique, l'allégorie se propage dans toutes les directions, qu'elle est l'instrument de la dissémination du sens. Rhétorique et herméneutique, elle relève de la surface et de la profondeur du texte. Il faut également attribuer à l'allégorie, conformément à l'étymologie, la capacité d'altération, d'altérité, d'utopie et de nostalgie.

Notes
85.

Johan Huizinga, L'automne du Moyen Age, Saint-Amand (Cher): Editions Payot, 1975, p. 213.

86.

Ibid., p. 215.

87.

Huizinga, L'automne, pp. 214-215.

88.

Ibid., p. 215.