3. 4 Le Vice et la connaissance du Mal

Ces propos concernant l'allégorisation peuvent contribuer à faire la lumière sur le procédé allégorique exploité, souvent partiellement, dans le théâtre du Vice. Le Vice, agissant à maintes reprises en qualité d'acolyte de Satan s’efforce de faire connaître, ou, dans bien des cas, s’évertue à mieux faire connaître le Mal au protagoniste principal. On a souvent reproché à ce type de théâtre de manquer d'action ou d'intrigue. Or le mode d'existence du Mal n'est pas seulement l'action, c'est aussi le savoir. Par conséquent la tentation physique, au sens strictement sensuel, sous la forme de la luxure, de la goinfrerie, de la paresse, est loin d'être l'unique ou l'exact fondement de son existence. Celui-ci se révèle dans le mirage d'un royaume de la spiritualité absolue, un royaume sans Dieu, lié à la matière dont seul le Mal conduit à l'expérience concrète. Le théâtre du Vice montre souvent à l'œuvre les trois promesses primitives de Satan, tantôt dans le personnage du tyran , tantôt dans celui de l'intrigant qu'est le Vice ou encore le groupe-Vice. Ce qui séduit, c'est l'illusion de la liberté, dans l'exploration de l'interdit ; l'illusion de l'indépendance, dans l'exclusion de la communauté des fidèles ; et l'illusion de l'infini, dans l'abîme vide du Mal.

Dans diverses pièces de notre corpus le Vice fait fréquenter les tavernes, les femmes, l'oisiveté, l'insouciance et le crime. Le tangible, c'est son domaine. Il est celui qui a voyagé, qui a accumulé des connaissances ; c'est souvent un séducteur qui affine l'art de la débauche. Il effectue une véritable descente aux enfers, sous les traits d’un anti-Orphée qui a le don de charmer son entourage en chantant des grivoiseries qui écorchent les oreilles. Il conduit dans l'abîme insondable du mal, comme en témoigne les ruines laissées après le départ du groupe-Vice dans Mankind par exemple, où le protagoniste est mené au bord du désespoir et du suicide ou encore dans Respublica où le Vice Avarice et ses comparses précipitent le personnage allégorique Respublica au bord de la ruine économique. D'autres pièces peuvent illustrer notre propos ; Nice Wanton (pièce "hybride" selon Bernard Spivack )se terminerait en véritable tragédie si ce n'était que le jeu allégorique, avec sa potentialité de réversibilité, teinte le dénouement d’une touche moins tragique voire semi-heureuse ; Youth et Hickscorner s’achèvent sur un brusque changement d'orientation du comportement de Youth, Freewill et Imagination, qui se réveillent en Dieu.