3. 9 La voix conventionnelle du Vice

Pour aborder l’étude de la pratique de l'écriture allégorique dans "le théâtre du Vice" , c'est-à-dire à la fois une tendance à signifier autre chose et à dire autrement, empruntons à Northrop Frye la définition que ce théoricien de la littérature nous en donne dans son Anatomy of Criticism : ‘"A writer is being allegorical whenever it is clear that he is saying "by this I also (allos) mean that."’ 107 Le critique recommande d'être attentif au programme de lecture annoncé par les titres, les œuvres auxquelles il nous renvoie se classant parmi les ouvrages prenant la forme de "schoolroom moralities" ou "devotional exempla", et il ajoute que tout ouvrage de forme allégorique possède une solide base, ‘"the habitual or customary ideas fostered by education and ritual.’" 108 Enfin les noms de lieu ou de personne proposent également un contrat de lecture allégorique. C'est le procédé le plus élémentaire de l'allégorie que de donner au nom commun une identité par l'intermédiaire d'une majuscule. De "greediness" à "Greediness", il y a, graphiquement parlant, l'écart d'une majuscule. Mais de "vice" à "the Vice", et de "vices" à "the vices", il y a aussi l'addition d'un article. Ces changements sont le résultat d'une volonté programmatique qui convie à donner corps et vie, et personnalité, à une abstraction certes, mais qui, dans le deuxième exemple cité, renvoie le lecteur/spectateur, conformément au mécanisme allégorique, à une série de correspondances entre des mots abstraits et des marques de la personnification. Ce procédé accorde à l'idée un statut d'être, mais avec toutefois une nuance en ce qui concerne le Vice puisqu’il s’agit d’un être composé de conventions théâtrales. Le Vice n'est inscrit ni dans le temps, ni dans l'espace ; il ne ressemble à aucune personne du monde réel et pourtant il est bien présent, sortant de partout et de nulle part à la fois avant d'y retourner. De ce fait on ne peut pas lui attribuer un caractère mimétique. Comme le précise Jean-Paul Debax : ‘"[...], le Vice possède une irréalité constitutive qui n'appartient qu'au monde du théâtre et s'abolit avec lui"’ ‘ 109 ’ ‘. ’ ‘Selon Peter Happé : "He is never a character but an arrangement of conventional elements which give him impetus in the world of the play’" 110 .

Le Vice garde bien des rapports conventionnels avec le procédé allégorique. L'extroversion, le renvoi explicite à une signification, l'exemple, la traduction, le transfert du particulier au type font partie de la constellation de procédés associés à l'allégorie , ainsi qu'au jeu mené par le Vice . Cependant, plutôt que de le considérer comme la personnification d'une abstraction nous préférons lui accorder le statut d'un "index allégorique" 111 , car l'une des fonctions récurrentes de ce rôle, dans les pièces de forte coloration homilétique, est celle de pilote du lecteur/spectateur qui navigue sans hésitation dans les zones où les tabous sont abordés et celle de l'indicateur qui est censé montrer, d'une manière oblique, la démarche à ne pas suivre.

Notes
107.

Northrop Frye, Anatomy of Criticism, Harmondsworth: Penguin, 1957, p. 90.

108.

Ibid., p. 90.

109.

Debax, Vice, p. 330.

110.

Happé, "The Vice and Popular Theatre", p. 28.

111.

Nous avons emprunté cette expression à Alan C Dessen : Shakespeare and the Late Moral Plays, p.28.