4. La primauté du comique dans la tragi-comédie des XVe et XVIe siècles

Soulignons un aspect effleuré dans ce travail mais que nous n'avons formalisé jusqu'ici que de manière fugace ; il s'agit de la primauté accordée aux éléments comiques dans les procédés dramatiques de la période Tudor, en cet automne du Moyen Age. Il conviendra donc de nous interroger sur la signification que prend le comique si largement présent par ailleurs dans tout le théâtre européen des XVe et XVIe siècles, théâtre que beaucoup de critiques ont tenu pour majoritairement didactique, allégorique et sérieux 128 . L'irrévérence et la grossièreté de ce comique ont tendance à choquer la sensibilité moderne qui s'étonne de voir le rôle prépondérant qui lui a été accordé dans la production dramatique à but didactique et moral. Les plaisanteries des bourreaux du Christ dans la scène de la Flagellation, l'épisode dans le Secunda Pastorum du cycle de Wakefield dans lequel le berger Mak essaie de faire passer l'agneau volé pour un fils que lui a donné sa femme soulèvent un doute sur les vraies intentions des auteurs de ces scènes. Ce serait une erreur de les tenir pour un divertissement adressé à un public populaire qui avait besoin d'ouvrir la "soupape de sécurité" pendant un moment de comic relief concédé à un public faible d'esprit qui ne serait pas capable de supporter trop longtemps la tension générée par un théâtre à caractère essentiellement "sérieux" qu'aurait comporté un théâtre chargé de mettre en scène des moments doctrinalement importants dans l'histoire théologique de l'Humanité

Néanmoins l'introduction d'éléments comiques peut s'expliquer partiellement par le fait que le destinataire, le spectateur se trouve au cœur des préoccupations des créateurs des œuvres dramatiques de l'époque que nous considérons. Ces œuvres comportent une expérience dynamique et déploient des pratiques réceptives qui visent à faire participer le spectateur dans le fait théâtral et, par ce biais, à lui procurer des satisfactions d'ordre didactique et esthétique. Ces œuvres sont informées par son univers familier, ce qui permet au spectateur de se projeter dans un monde fictif émaillé parfois d'éléments étrangers qui pourrait sans cela le désorienter, voire le rebuter. Afin de bien saisir ce théâtre, dans son idéologie et dans son fonctionnement, il nous appartient d'esquisser l'univers ambiant connu de ce spectateur en mettant l'accent sur des aspects qui peuvent apporter quelques éclaircissements sur son appréciation du théâtre. Précisons d'abord que nous estimons que l'homme Tudor et l'homme médiéval ne font qu'un au début de la période considérée, et que notre terme de "spectateur" est ici employé pour désigner tous ceux qui s'intéressent à l'activité théâtrale à cette époque, c'est-à-dire l'ensemble de la hiérarchie sociale et intellectuelle Tudor.

Notes
128.

Un comptage sommaire portant sur dix pièces, en général cataloguées comme "moralités", effectué par Jean-Paul Debax fait apparaître un rapport d'environ 2/3 de passages comiques contre 1/3 de passages sérieux. Pour davantage de précisions voir Debax, Vice, Vol. II, p. 518.