5. 4 Le double jeu du Vice

B. Spivack attire notre attention sur la double dimension de la convention du Vice : la dimension homilétique qui relie le personnage intimement au spectateur et la dimension véritablement dramatique de son intrigue stéréotypée. Cette "intrigue" donne à penser à une démonstration, ce dont témoignent certains termes récurrents ayant trait au jeu théâtral : "see" et "show", "game" et "gear" font partie de son répertoire fixe, attirant notre attention sur ses exploits en qualité de "playmaker". Le mot "gear" est presque toujours adressé au spectateur, que le Vice invite à formuler une appréciation sur l'excellence de ses stratagèmes. Nichol Newfangle, le Vice de Like Will to Like , est doté du rôle de personnage médiateur, ce personnage pivot que l'on appelle couramment stage manager character en langue anglaise :

‘I trowe you shall see more knaves come to me,
Which whensoever they doo,
They shall have their meed, as they deserve indeed,
And you shall shortly see these two.
When they doo pretend to have a good end
Mark wel, then, what shall insue :
A bag and a bottle, or els a rope knottle,
This shall they prove to true.
But mark wel this game ; I see this geer frame.
(Like Will to Like , v. 588-596)’

Plus tard dans la pièce, les objets qu'il présente aux spectateurs symbolisent ses machinations pour conduire à la perdition Cuthbert Cutpurse, et Pierce Cutpurse. Il sollicite l'approbation de l'auditoire directement :

‘And for Cuthbert Cutpurse and Pierce Pickpurse heere is good fare :
This is the land of the two legged mare,
Which I to them promised, and devide it with discretion.
Shortly you shall see I wil put them in possession.
How like you this marchandise, my maisters ? Is not this trim ?
(Like Will to Like , v. 912 -916)’

Ce personnage médiateur a la capacité de naviguer entre l'espace-temps des regardants et des regardés sans briser le jeu . Il y a fusion, mais non confusion entre la scène et la salle et ce qui fut une relation binaire devient tripartite alliant trois espaces-temps en un seul espace-temps dramatique, primordial pour la création scénique 167 .

Le Vice de The Marriage between Wit and Wisdom, (Francis Merbury, 1579), Idleness, fait son entrée en scène dans la plus grande intimité avec le spectateur :

‘Ah ! sirrah ! my masters ! how fare you at this blessed day ?
What, I ween all this company are come to see a play !
What lookest theee, good fellow ? didst see ne'er a man before ?
Here is a gazing ! I am the best man in the company, when there is no more !
As for my properties, I am sure you know them of old !
I can eat till I sweat, and work till I am a-cold.
(The Marriage between Wit and Wisdom 168 , v. 87-92)’

et, après avoir annoncé son nom, sa nature, et son stratagème, il procède par la suite à l'organisation de la pièce promise que le spectateur était censé voir :

‘But what is that to the purpose - perhaps you would know ?
Give me leave but a little, and I will you show !
My name is Idleness, as I told you before.
And my mother, Ignorance, sent me hither.
I pray thee, sirrah ! what more ?
Marry, my masters ! she sent me the counterfeit crank for to play ;
And to lead Wit, Severity's son, out of the way !
(v. 103-109)’

Selon B. Spivack , cette intimité avec l'auditoire contribue partiellement à la popularité du Vice et à sa survie :

‘He outlives the decay of the allegorical drama because he has developed into a stage personality [...] His performance in consequence is double, both choric and dramatic, and as such it survives in both comedy and tragedy . 169

Le double rôle de médiateur et d'index allégorique que joue le Vice lui permet d'évoluer dans les pièces élisabéthaines sous le nom de Diccon ainsi que sous le nom de Richard III . Les partisans des genres séparés voient une trop grande différence entre le contexte environnant de ces deux intrigants pour leur attribuer des points de convergence. Mais les réalités de la scène élisabéthaine font que ces deux intrigants relèvent de la même convention ; ils sont dotés des mêmes caractéristiques, et œuvrent dans le même but amoral en employant les mêmes astuces histrioniques pour réussir leur entreprise. Le Vice appartient à la fois à la tragédie et à la comédie ; il est à l'aise dans l'une comme dans l'autre et fait perdurer l'esprit tragi-comique anglais si réticent à se soumettre aux lois rigides du drame classique.

Notes
167.

La relation entre l'aire de jeu et l'auditoire dans le théâtre Tudor est bien développée dans les travaux de Norah Phoenix dans Dramaturgie de l'espace-temps sur la scène Tudor : Etude de quelques formes c.1520-c.1564. Thèse de doctorat nouveau régime, Université François-Rabelais de Tours, 1997, pp. 90-91.

168.

Francis Merbury, The Marriage between Wit and Wisdom, in English Moral Interludes, éd. Glynne Wickham , London: J. M. Dent, 1976.

169.

Spivack , Shakespeare and the Allegory, p. 192.