1. 2 Justification du choix de ce "Vice" shakespearien

Notre focalisation sur le personnage de Richard III comme exemple shakespearien représentatif du personnage-Vice, personnification de l'esprit tragi-comique Tudor, se justifie en partie par ses facilités à transformer les expressions anglaises les plus inoffensives en termes de duplicité à connotation sinistre. Aussi nous nous attarderons sur ce personnage à cause des associations entre Richard et l'histrionisme lié dans son cas au rôle du tyran , affiliations qui font exploser la métaphore du theatrum mundi , Richard étant un acteur qui joue son rôle dans le monde réel et qui parvient, à l'aide du pouvoir de l'illusion à aveugler bon nombre d'honnêtes gens afin d'effectuer leur renversement dans le monde politique représenté. C'est un Roscius qui commet des assassinats dans la vie pour de vrai 197 . Le pouvoir que manie l'acteur est mis en avant : ce pouvoir relève de procédés théâtraux dont la visée est une harmonie entre identification et dénégation 198 qui engendre les deux axes paradoxaux de la réception d'une pièce. Nous touchons ici à la problématique du fonctionnement de l'illusion 199 , qui est étroitement lié au phénomène de rapprochement-éloignement faisant partie du contrat tacite par lequel le dramaturge, dans sa quête de vraisemblance, introduit le spectateur dans l'univers fictionnel sans abolir l'équilibre précaire entre resserrement de la communication entre scène et salle et distanciation, qui crée les conditions de "the willing suspension of disbelief" 200 , forme de jeu auquel le spectateur se prête d'emblée en acceptant d'assister à une représentation. Nous touchons aussi, dans le cas précis de la pièce de Richard III, aux problèmes des limites de la satire et de la comédie , genres intimement liées chez les écrivains élisabéthains. Jusqu'où pouvait aller un auteur dans l'abaissement d'un monarque sans donner l'impression de s'en prendre en même temps à la reine elle-même ? Est-ce que la tyrannie avec son lot de terreur et d'assassinats peut être traité sous un angle comique ? Ou est-ce un thème que le décorum si cher aux Elisabéthains réserve à la tragédie ?

Nous proposons dans les pages qui suivent de repérer les traits que le Vice et le personnage shakespearien Richard III ont en commun lors de la concrétisation de leurs pulsions ludiques. Ce repérage nécessitera de faire des aller-retour dans le texte afin de faire ressortir clairement les points de convergence relevés et les dépassements des conventions, fruits de l'apport personnel de Shakespeare qui fait de son personnage un séducteur inoubliable de la scène tragi-comique.

Notes
197.

Henry VI fait l'assimilation avant d'être poignardé : "What scene of death hath Roscius now to act ?" 3 Henry VI (5. 6. 10).

198.

"Terme de psychanalyse désignant le processus qui fait venir à la conscience des éléments refoulés et qui sont en même temps niés [...]. La situation du spectateur qui subit l'illusion théâtrale, tout en ayant le sentiment que ce qu'il perçoit n'existe pas vraiment est un cas de dénégation." Pavis, Dictionnaire du théâtre, p. 86.

199.

"Il y a illusion théâtrale lorsque nous prenons pour réel et vrai ce qui n'est qu'une fiction, à savoir la création artistique d'un monde de référence qui se donne comme un monde possible qui serait le nôtre." Ibid., pp. 167-168.

200.

Expression bien connue, devenue une sorte de talisman, inventée par Samuel Taylor Coleridge.