2. 4 Le satirique : l'ambiguïté de la satire modérée

Le thème de la servitude volontaire, l'asservissement aux passions, est souvent présent dans le théâtre du Vice. Ce thème est exploité avec la plus grande prudence sur le plan politique par les satiriques. Chez les auteurs élisabéthains l'esprit satirique semble être contraint de se réfugier dans des manifestations que les autorités jugent sans conséquence : les réjouissances populaires telles que les Jeux de Mai, le "Lord of Misrule " faisaient partie de l'institution bouffonne qui était tolérée pendant la durée de la fête. La personne royale prend un caractère sacré à partir du jour où Elisabeth 1er est déclarée le seul gouverneur suprême du royaume, aussi bien dans les choses spirituelles et ecclésiastiques que temporelles 232 . Pouvait-on s'attaquer alors au régime sans s'attaquer du même coup à la souveraine ? Les satiriques sont forcés de participer au culte de la reine, au compromis élisabéthain. Ils se posent alors en défenseurs de la dynastie et de l'intérêt national et leurs critiques modérées sont limitées aux hommes qui déshonorent le régime. Vers la fin du XVIe siècle le machiavélisme est associé au mécontentement, deux vices qui représentent de graves dangers pour la Cour. Le mécontentement est considéré comme la racine du machiavélisme et le mécontent aux visages multiples fait son entrée dans la société élisabéthaine, et sur la scène. Ce mécontent aux sombres desseins de parvenir à se hisser dans le rang des grands par tous les moyens possède une âme de traître. Ses pensées s'élèvent travaillées par le levain de l'ambition machiavélique et il évoque l'insubordination politique 233 . C'est un vilain dont l'idée fixe est de répandre la sédition : ‘"Discord to malcontents is very manna",’ dit le mécontent de Marston (The Malcontent , 234 1. 4. 36).

Le théâtre didactique a pour fonction première de montrer l'exemple afin de corriger celui qui s'égare. L'artifice consiste à voiler la satire par le comique. Plusieurs personnages sont enchaînés au Dieu Mamon dans les pièces de Shakespeare et Richard, tel le Vice des interludes, n'hésite pas à l'indiquer au spectateur dans ses multiples commentaires destinés à orienter l'auditoire dans la jungle des prédateurs aux dents longues. Ainsi, Shakespeare se concentre sur le manipulateur et ses acolytes et le sentiment de pathos pour les victimes est éliminé. Comme dans les épisodes des interludes où le protagoniste est détourné du droit chemin, le mal ne s'impose pas mais reste au service de celui qui l'appelle. Il n'y a point d'innocents dans cette pièce. Même le peuple est accusé par le personnage choreute du Scrivener de fermer l'œil trop souvent sur les pires incartades :

‘Here's a good world the while ! Who is so gross
That cannot see this palpable device ?
Yet who so bold but says he sees it not ?

(Richard III , 3. 6. 10-12)’

Les princes n'ont pas une parenté qui les innocente totalement : eux aussi sont stigmatisés par les crimes de leurs parents.

Notes
232.

Voir J.B. Black, The Reign of Elisabeth (The Oxford History of England, vol. 8), 2e éd., Oxford: Clarendon Press, 1959, p. 16.

233.

Voir Louis Lecoq, La satire , p. 75, qui nous renvoie à H.M.V. Matthews, Character and Symbol in Shakespeare 's Plays, Cambridge U.P., 1962, chap. I, p. 7-15 pour un résumé de ce qu'évoque l'insubordination politique à l'époque. L. Lecoq cite ce passage d'une homélie élisabéthaine: "All sinnes possible to be committed against God or man be contained in rebellion : which sinnes if a man list to name by the accustomed names of the seven capital or deadly sins as Pride, Envy, Wrath, Covetousnesse, Sloth, Gluttonie and Lecherie, he shall find them all in rebellion and amongst rebels".

234.

John Marston , The Malcontent , éd. Bernard Harris, London: A & C Black, 1993.