3. La voix du manipulateur : son index allégorique

Si le Vice des pièces à contenu moral des prédécesseurs de Shakespeare servait d'index allégorique en montrant que le repentir était nécessaire pour rétablir l'harmonie et l'ordre tant désirés (et, qui plus est, promulgués par la culture officielle) il n'en demeure pas moins que dans cette pièce les excès perpétrés par Richard Gloucester renvoient au topos de la vanité des ambitions. Un cadre tragi-comique circonscrit le tout. L'escalier qui mène au pouvoir est peut-être vite grimpé mais la roue de la Fortune tourne inexorablement et la résolution finale réaffirme et rétablit le statu quo. Shakespeare écrit cette pièce à une époque où les genres dramatiques sont catégorisés selon le dénouement. Nous nous intéressons surtout au personnage tragi-comique de Richard III , mais il nous importe néanmoins de faire ressortir le caractère générique ambigu de cette pièce historique. Comme le souligne A.P. Rossiter :

‘Now if a tragedy is a De Casibus tale about the fall of an illustrious but bad man, it is plainly easy to get muddled about whether it isn't also a comedy, so right-and-proper is the end, so happying to the virtuous 249 .’

Il poursuit son argumentation en citant les cas de Cambyses de Thomas Preston et de Apius and Virginia : la première pièce porte le titre "A Comedie of King Cambyses" alors que la première page lui donne une coloration de drame hybride, ‘"A Lamentable Tragedie mixed full of pleasant mirth"’. Même lorsque les vertueux sont sacrifiés, le drame dans lequel ils figurent peut néanmoins s'intituler ‘"A Newe Tragicall Comedie of Apius and Virginia"’ 250 !

Shakespeare exploite les attributs du Vice afin de communiquer sa version propre d'un royaume maladif. La toile de fond contemporaine est présente sous le masque d'une époque lointaine. Les satiriques élisabéthains n'avaient pas comme seuls cibles les puritains, mais aussi les tyrans, les mécontents et les flatteurs : le personnage-Vice pouvait servir d'index pour ce qui n'allait pas dans une société entière et pouvait allégoriser la santé du royaume servant de mise en garde contre les divers formes et processus de tentation qui s'opéraient au sein de la société.

Le tyran ridiculisé constitue un trait permanent des Mystères . Il prête à rire parce qu'il incarne un excès et un comportement obsessionnel. La longue carrière du Vice le fait évoluer dans des pièces à dominante homilétique, politique et burlesque . Son versant comique est souvent sinistre et maléfique. Au début de sa carrière il agence une suite d'actions épisodiques sans conséquences graves pour le protagoniste homo genum. Dans les années 1590 il dirige souvent, au centre de la pièce, une véritable intrigue motivée par un désir profond d'éliminer ses antagonistes. La technique de morcellement exploitée dans les moralités peut encore être utilisée (comme le fait Shakespeare dans Richard III au niveau de la représentation du débat entre la conscience et le désir du pouvoir), mais tout personnage-abstraction est étoffé et naturalisé. Le personnage Vice n'est plus ce personnage métaphysique dont le va-et-vient de toute part et de nulle part lui conférait une aura du supranaturel. Il peut toutefois se forger une aura similaire et inspirer la crainte ou séduire ses victimes comme son comparse plus archaïque 251 .

Notes
249.

A. P. Rossiter, English Drama from Early Times to the Elizabethans. Its backgrounds, origins, and developments, London: Hutchinson University Library, 1950, p. 138.

250.

Edition utilisée : Apius and Virginia, éd. Peter Happé, Tudor Interludes, Harmondsworth: Penguin, 1972.

251.

On peut établir une analogie entre ce monde fictif et le monde réel des Nazis, qui, sous la direction d'Hitler ont crée un véritable culte du Nazisme dans le but de justifier et d'authentifier aux yeux du peuple allemand les usurpations qu'ils effectuaient pendant leur ascension fulgurante pour dominer l'Europe entière.