5. Falstaff et la dialectique de l’Un et du Multiple

"The web of our life is of a mingled yarn, good and ill together "
(All's Well That Ends Well, 4. 3. 69-70)

Introduction

Le Vice shakespearien Richard III , à la volonté machiavélique, bien que conservant certaines caractéristiques de la convention théâtrale, nous fournit un exemple de ce que le personnage Mrs Mirth de la pièce de Ben Jonson appelle un être renouvelé en ce qui concerne le Vice -personnage de la scène Tudor. Mrs Mirth fait allusion à la scène, dont on trouve plusieurs exemples dans les interludes moraux, où le Vice, après avoir commis ses forfaits, quitte l'aire de jeu sur le dos du diable 267 . Dans l'intermède qui suit l'acte II de The Staple of News , Mrs Mirth interroge ses amies :

‘MIRTH
How like you the vice in the play ?
EXPECTATION
Which is he ?
MIRTH
Three or four : Old covetousness, the sordid Pennyboy,
the money-bawd, who is flesh-bawd, too, they say.
TATTLE
But here is never a fiend to carry him away. Besides he
has never a wooden dagger ! I'd not give a rush for a
Vice that has not a wooden dagger to snap at everybody
he meets.
MIRTH
That was the old way, gossip, when Iniquity came in
like Hokos Pokos, in a juggler's jerkin, with false skirts,
like the knave of clubs ! But now they are attir'd like


men and women o'the time, the Vices, male and female !
Prodigality, like a young heir, and his mistress Money
(whose favours he scatters like counters), prank'd up like
a prime lady, the Infanta of the Mines

The Staple of News 268 , II. Intermean, 14-17)’

L'équation que Ben Jonson pose entre le Vice , le Mal, les faiblesses humaines et l'Enfer illustre la parfaite connaissance des personnages et des stratégies du théâtre du Vice chez ses prédécesseurs. Il savait, comme Shakespeare , combien il pouvait tirer profit de ces conventions et jouer sur l'attente du spectateur pour faire aboutir ses objectifs dramaturgiques personnels, surtout pour privilégier une vision du commerce humain satirique dans le cas de Jonson , et tragi-comique, dans le cas de Shakespeare.

Nous pouvons constater avec A.P. Rossiter que le moule du Vice équivoque s'agrandit pour contenir "a double-crossing trickster, a tempter, a malicious humorist and a clown" 269 . Comme la gargouille médiévale, il révèle un savant mélange d'effrayant et de comique — comique parce qu'il est la distorsion grotesque de ce qui a encore des réminiscences de contours humains qui permettent de donner un nom à ce qui relève du diabolique et effrayant dans la mesure où il peut prendre la forme du "goblin jester" comme du ‘"Frankenstein monster of will, intellect, perfidy and outrageous gusto’" 270 une fois que le frein unifiant chrétien médiéval se relâche et permet ainsi au Multiple de prendre l'ascendant sur l'Un.

Nous soulignons avec Bernard Spivack l'impossibilité de réduire le personnage du Vice à une formule unique ; l'interprétation en serait sélective et réductrice. Les Elisabéthains eux-mêmes ne l'ont jamais fait. Le Vice garde sa double nature, dont témoigne plusieurs allusions dans diverses pièces de Shakespeare jusqu'au début du dix-septième siècle, étant "a deadly villain with a farcical style" 271 dans les pièces à dominante tragique – ce qui est le cas de Richard III – et ‘"something of a villainous farceur’" 272 dans les pièces comiques, lequel sera l'objet de notre réflexion dans les pages qui suivent. La fin réservée à ce personnage, ainsi que ses dons d'amuseur, est dans bien des cas un indice important : elle peut refléter des changements profonds au niveau de l'évolution du sociolecte, une tendance qui se confirme à partir de l'introduction de moralités à coloration polémique 273 et se rapportant à des conflits historiques.

Notes
267.

Like Will to Like d'Ulpian Fulwell nous fournit une illustration. Le Vice nommé Nicholas Newfangle disparaît à califourchon sur le dos du diable.

268.

Ben Jonson , The Staple of News , éd. Devra Rowland Kifer, Whitstable: Edward Arnold, 1976.

269.

A.P. Rossiter, English Drama from Early Times to the Elizabethans. Its backgrounds, origins, and developments, London, Hutchinson University Library, 1950, p 159.

270.

Rossiter, English Drama, p. 157.

271.

B. Spivack , Shakespeare , p. 205.

272.

Ibid., p. 205.

273.

Voir David M. Bevington, From Mankind to Marlowe: growth of structure in the popular drama of Tudor England, Cambridge : Harvard University Press, 1962, p.162. Bevington nous rappelle que l'emphase est placée sur la notion de rétribution plutôt que sur la notion de pardon dès que la théologie calviniste fait intrusion dans la dramaturgie tudorienne. Le sort réservé à Moros de la piece de William Wager intitulée The Longer Thou Livest the More Fool Thou Art (l'édition utilisée est celle de R. Mark Benbow, London: Edward Arnold (Publishers) Ltd., 1968) montre le protagoniste sous l'emprise du Mal et illustre la doctrine calviniste qui n'admet pas la possibilité systématique de rédemption. Son impénitence est la cause de sa dégénération spirituelle, ce qui lui enlève tout espoir d'accéder au salut : la nature du Mal qui le ronge est explicité par le proverbe qui fournit l'intitulé de la pièce. Le prologue confirme la situation désespérée de Moros :

By him we shall declare the unthrifty abuse

Of such as had lever to folly and idlenes fall

Than to hearken to sapience when he doth call,

Their process, how their whole life they do spend,

And what shame they come to at the last end.

(v. 52-56)