6. 1 Le jeu politique de Hal

La pièce dans la pièce de la scène 4 de l'acte 2 de la première partie de Henry IV dans laquelle Hal s'amuse à mettre à l'envers le renversement classique effectué pendant les saynètes parodiques jouées par le roi de carnaval dévoile la détermination du prince de faire prévaloir la voix officielle contre les voix carnavalesques représentatives de désordre subversif. Falstaff a beau l'implorer de ne pas bannir "plump Jack", sa ferme résolution et les paroles prononcées par Hal, "I do, I will." (2. 4. 475) ont les résonances d'un rite dans lequel il peut prêter serment. Falstaff semble être démarqué comme bouc-émissaire. En effet, cette pièce dans la pièce qui se joue figure la suite des événements, la venue de carême qui fait succéder les jours maigres aux jours gras et qui commence par des rites de pénitence et de mortification.

‘"The noble change that I have purposed"’ (2 Henry IV , 4. 5. 154) qui résulte de la "low transformation" (2. 3. 167-168), "From a prince to a prentice", telle la transformation effectuée par Jove, de dieu en taureau, sert un dessein plus large et doit s'inscrire dans une perspective qui assigne au jeu auquel Hal se prête une importance toute particulière dans la propagation de l'idéologie nationale, religieuse et monarchique. Selon E. K. Chambers 320 , la reine Elisabeth encourageait les fêtes locales et les traditions rurales de ses contemporains pour des raisons politiques et en particulier pour se rendre populaire. Une telle stratégie constituait une première étape dans l'affirmation de la cohésion nationale 321 . Comme le dit Hal : "in everything the purpose must weigh with the folly "(2 Henry IV, 2. 3. 168-169) : son but dissimulé derrière les masques qu'il adopte dans la taverne de la Hure semble être atteint lorsqu'il intègre sous forme de récit narré le jugement que le bas peuple porte sur lui :

‘HAL
[...] Sirrah, I am sworn brother to a
leash of drawers, and can call them all by their
christen names, as Tom, Dick, and Francis. They
take it already upon their salvation, that though I be
but Prince of Wales, yet I am the king of courtesy,
and tell me flatly I am no proud Jack like Falstaff ,
but a Corinthian, a lad of mettle, a good boy (by the
Lord, so they call me !), and when I am King of Eng-
land I shall command all the good lads in Eastcheap.
(1 Henry IV , 2. 4. 6-14)’

Hal joue "la comédie du politique" sur un ton juste ; comme dans les antiques Saturnales, les rôles sociaux sont échangés et Hal accepte tous les jeux de rôles, y compris l'apprenti qui sert à table, ce qui lui permet d'agir sur les énergies populaires. Hal fait dans la taverne de la Hure ‘"l'apprentissage de son métier de roi"’ 322 . Les craintes de son père en ce qu'il se rabaisse trop au niveau de la populace s'avèrent peu fondées. Vu le fait qu'il garde toujours une certaine distance vis-à-vis de ses compagnons de jeu , il sort grandi de la joyeuse tombe corporelle creusée pour l'idéalisme "officiel" qu'il représente en qualité de prince héritier. Il meurt pour mieux renaître : neuf, meilleur et illuminé. Le correctif populaire du rire à la gravité unilatérale des prétentions associées à la "vérité officielle" assure sa renaissance. Falstaff apparaît alors comme le descendant de ces antiques démons pansus de la fécondité que nous pouvons voir sur les célèbres vases corinthiens ; il a un rôle en quelque sorte "fécondateur" dans la première partie de Henry IV. Hal n'est pas un Corinthien comme Falstaff ; il en est le contraire exact, un Spartiate, comme le souligne J. Leray 323 .

Notes
320.

Cité par Laroque, Shakespeare et la Fête, p. 348, n. 188.

321.

Sur le plan historique il est intéressant de remarquer qu'après le moment critique que fut l'attaque de l'Armada espagnole sous Elisabeth le double réflexe insulaire et anti-catholique permet de rallier sans peine le peuple à la politique du souverain. A cette époque la fête est vêtue d'une valeur d'exorcisme de la peur alliée à un sentiment de nationalisme et de xénophobie vis-à-vis des pays papistes. Selon François Laroque : "La fête, devenue expression du triomphe sur l'étranger, permettait ainsi au souverain d'amener sans peine le peuple à se rassembler autour de sa personne et de sa politique et cela d'autant plus efficacement qu'à la suite de la Réforme le roi cumulait les pouvoirs spirituel et temporel." Laroque, Shakespeare et la Fête, p. 76.

322.

Laroque, Shakespeare et la fête, p. 261.

323.

Leray, "A cheval," p. 223.