7. 7 L'insouciance, péché mortel

L'insouciance, nous l'avons fait remarquer, est l'un des traits principaux du personnage-Vice. Falstaff se montre coupable de ce péché mortel par son attitude envers le repentir : il le prend à la légère, comme en témoigne ces propos adressés à Bardolph après l'escapade de Gadshill :

‘FALSTAFF
Bardolph, am I not fallen away vilely since this last action ? Do I not bate ? Do I not dwindle ? Why, my skin hangs about me like an old lady's loose gown. I am withered like an old apple-john. Well, I'll
repent, and that suddenly, while I am in some liking ; I shall be out of heart shortly,and then I shall have no strength to repent.
(1.Henry IV, 3. 3. 1-7)’

Il repousse les actes de contrition au lendemain :

‘If I do grow great, I'll grow less, for I'll purge, and leave sack, and live cleanly as a nobleman should do. (1 Henry IV , 5. 5. 162-164)’

Dans la longue scène de la taverne du deuxième acte lorsque Doll Tearsheet aborde le sujet, il préfère l'occulter :

‘DOLL.
Thou whoreson little tidy Bartholomew boar-pig, when wilt thou leave fighting-a-days, and foining a-nights, and begin to patch up thine old body for heaven ?
FAL.
Peace, good Doll, do not speak like a death's-head,
do not bid me remember mine end.

(2 Henry IV , 2. 4. 227-232)’

Il est intéressant de remarquer que Shakespeare se contente de friser la question du repentir et laisse la pragmatique faire le reste. La tête de mort évoquée par Falstaff dans cet échange est imprégnée des harmoniques de son temps. Shakespeare fait entendre des voix dans les voix et déconcerte le spectateur quant à la réaction à adopter lorsque la scène comique ouvre soudainement sur une perspective inquiétante propre à la comédie du mal. La leçon homilétique de la pièce morale est contenue dans la figure emblématique d'une tête de mort imaginaire et déteint sur l'espace-temps falstaffien : la Mort, personnage allégorique, se glisse dans la métalepse narrative pour rappeler à Falstaff la nécessité du repentir. L'icône encadrant les corps grotesques entrelacés des deux amants reproduit un exemplum negativum fonctionnant en contre-point du memento mori : le spectacle des errances de la libido incarnées par tant de personnages-Vice antérieurs est reproduit en un pied de nez falstaffien à l'interdiction théologale de goûter aux plaisirs de la chair. Le memento mori est inversé en memento vivere sous les couleurs de l'esthétique du comique-grotesque carnavalesque qui vacille entre le comique et le repoussant, entre l'exubérant et l'apeurant.

‘Le Roi, au contraire, est rongé par le remords :

How I came by the crown, O God forgive,
And grant it may with thee in true peace live !
(2 Henry IV , 4. 5. 218-219)’

Dans le but d'expier ses péchés, il a passé toute sa vie à braver des menaces à son autorité stigmatisée par son acquisition équivoque de la couronne :

‘For all my reign hath been but as a scene
Acting that argument. And now my death
Changes the mood, for what in me was purchas'd
Falls upon thee in a more fairer sort ;
(2 Henry IV , 4. 5. 197-198)’

Si Falstaff préfère occulter les memento mori, Henry IV, pour qui une croisade en Terre Sainte serait un moyen de racheter ses péchés, commence et termine son règne avec la vision de Jérusalem à l'esprit. La chair meurtrie par Henry nécessite un acte de contrition à plus grande échelle que les plaisirs de la chair consommée par Falstaff : la croisade rédemptrice renvoie à la nécessité de restituer une dimension spirituelle à l'Etat tout entier. Henry meurt dans la chambre appelée "Jérusalem" emblématique à la fois de la Terre Sainte jamais atteinte et de sa tranquillité d'esprit enfin retrouvée grâce à la réconciliation avec son héritier.