7. 10 Jubilation à l'égard des victimes

Dans la première partie de ce travail nous avons fait ressortir la manière dont le personnage-Vice se réjouissait de ses machinations et de ses coups réussis. Falstaff se félicite aussi de ses tours de force. La réplique qu'il donne à son petit page, suite au compte rendu de l'analyse de ses urines, témoigne de l'importance que prend le mot "wit" dans le jeu théâtral, venant en remplacement des termes "gear" et "game" dont se prévalaient les ancêtres de notre personnage. A la manière de Nichol Newfangle de la pièce Like Will to Like d'Ulpian Fulwell qui demande l'approbation de son auditoire concernant le jeu qu'il organise, Falstaff fait l'éloge de son esprit sans douter de sa suprématie sur les autres :

‘The brain of this foolish-compounded clay, man, is not able to invent anything that intends to laughter more than I invent or is invented on me ; I am not only witty in myself, but the cause that wit is in other men.
(2 Henry 1V, 1. 2. 5-9)’

Son attitude de prédateur jubilant envers la guerre ressort dans le commentaire qui suit la nouvelle de sa nomination à la tête d'une compagnie d'infanterie : ‘"Well, God be thanked for these rebels, they offend none but the virtuous ; I laud them, I praise them."’ (1 Henry IV , 3. 3. 189-191). Cupide, il se réjouit du profit qu'il fait au dépens des hommes qu'il recrute (1 Henry IV , 4. 2. 12-35) : dans un premier temps il ne recrute que les hommes qui peuvent racheter leur liberté. Il lui reste une armée d'épouvantails dont la majorité sortent de prison, n'ayant même pas une chemise décente à se mettre sur le dos; les quelques trois cents livres qu'il gagne, grâce à ses procédés de racolage malhonnêtes, lui vaudraient d'être damné, nous explique-t-il, sans aucun remords. (Par atavisme, il ne trompe pas le spectateur dans sa tromperie.) La méthode de recrutement pratiquée par Falstaff fait écho à celle des sinistres press-gangs à la solde de la reine Elisabeth, qui fréquemment envahissaient les églises les jours de fêtes religieuses pour engager de force des recrues réticentes. Cette méthode n'était un secret pour personne, ce qui permet à Shakespeare de l'évoquer sur un ton froid mais aussi de décocher discrètement une flèche contre des pratiques peu louables.

Le long réquisitoire de Worcester à l'acte 5 analyse le mécanisme de l'usurpation de Richard II et rappelle tous les griefs des rebelles envers Bolingbroke, ces mêmes rebelles qui l'ont conduit jusqu'au trône par un curieux processus alliant habileté et destin. Worcester brosse le portrait du prédateur qui se cachait en Bolingbroke à cet époque-là, époque où il prétendait ne rien méditer contre l'Etat et ne rien réclamer si ce n'est l'héritage de Jean de Gand, le duché de Lancastre. La fortune aidant, Bolingbroke est accusé d'avoir pris, après s'être fait prier, le pouvoir suprême (1 Henry IV , 5. 1. 41-56). Henry est dépeint par ses adversaires comme un tyran orgueilleux qui traite ses anciens pairs et amis avec mépris et fait le vide autour de lui :

‘WORCESTER
And from this swarm of fair advantages
You took occasion to be quickly woo'd
To gripe the general sway into your hand,
Forgot your oath to us at Doncaster,
And being fed by us, you us'd us so
As that ungentle gull the cuckoo's bird
Useth the sparrow - did oppress our nest,
Grew by our feeding to so great a bulk
That even our love durst not come near your sight
For fear of swallowing ; [..]
(I Henry IV, 5. 1. 55-64)’

L'armée de faméliques qui combattent pour le roi est symbolique des pratiques injustes de l'ancien régime et du code chevaleresque que brise Henry IV en violant les serments faits à ses anciens alliés au début de son entreprise. Le contraste trop gros/trop maigre est encore répété à travers l'image du "coucou-prédateur" : le corps grotesque de Falstaff l'avaleur peut être identifié à l'image évoquée de Bolingbroke le coucou. Le récit qu'il nous livre de la stratégie adoptée pour gagner le trône témoigne de la satisfaction ressentie par ce monarque qui s'efforce de renvoyer une image positive de lui-même :

‘And then I stole all courtesy from heaven,
And dress'd myself in such humility
That I did pluck allegiance from men's hearts,
Loud shouts and salutations from their mouths,
Even in the presence of the crowned King.
Thus did I keep my person fresh and new,
My presence, like a robe pontifical,
Ne'er seen but wonder'd at, and so my state,
Seldom, but sumptuous, show'd like a feast,
And wan by rareness such solemnity.
(1 Henry IV , 3. 2. 50-59)’