9. 2 Misogonus et la parodie satirique anti-cléricale

Dans une pièce plus tardive, Misogonus (1570), la scène de la taverne avec le travestissement burlesque de Sir John, le curé du village et représentant du modèle culturel supérieur, mérite toute notre attention. Cette pièce nous montre que le clergé n'est plus tout simplement la cible d'un commentaire satirique mais qu'il est en voie de devenir l'un des acolytes du personnage Vice prêt à entraîner ses semblables dans la débauche jusqu'à la dégradation spirituelle totale. L'entrée en scène de Sir John est longuement préparée par les habitués de la taverne, comme si l'auteur de la pièce préparait les spectateurs à une rencontre avec un autre Titivillus, considéré dans Mankind comme le clou du spectacle. Lorsque Misogonus décide de jouer aux dés, ses serviteurs font appel au curé qui a la réputation d'avoir toujours un jeu de dés sur lui ; Orgalus, serviteur dévoyé de Misogonus, brosse son portrait de la manière suivante :

‘He, sir – I am sure he is not without a dozen pair of dice.
I durst jeopard he is now at cards or at tables.
A Bible ? Nay, soft you. He'll yet be more wise.
I tell you, he is none of this new start-up rabbles.
There's no honest pastime but he puts it in's ure.
Not one game comes up but he has it by th'back.
Every wench i'th' town's acquainted with his lure.
It's a pity – so God help me – that ever he should lack.

(Misogonus , 2. 2. 61-68)’

Les spectateurs ne sont pas déçus par la performance de Sir John. Il joue et perd sa soutane aux dés (2. 2. 143), prie le dieu des voleurs, Mercure, de lui venir en aide (2. 2. 167), ponctue son discours de jurons blasphématoires (195-196 ; 204 ; 219) et se déclare prêt à sacrifier toutes les âmes de sa congrégation pour gagner son pari (2. 2. 223). Lorsque son clerc l'appelle pour dire la messe il est tellement absorbé par le jeu et dans une situation si désastreuse qu'il laisse entendre à ses interlocuteurs que n'importe quel larron pourrait officier à sa place et que sa congrégation excuserait son absence pour un tel motif. C'est à l'appel de "Susan Sweetlips", et non pas par devoir, qu'il s'apprête à délaisser le jeu. Le clergé est satirisé ouvertement dans cette scène qui fait danser et flirter lascivement le curé avec la prostituée de la taverne ; Sir John lui-même souligne son hypocrisie et celle de sa profession lorsqu'il s'abrite derrière l'autorité de la Bible ‘:"It's good to fetch a frisk once a day. ’ ‘I find it in my text." ’(2. 2. 267) Sir John fait office du "younker" que Misogonus , le fils prodigue, réclame (2. 2. 56) comme compagnon de ses débauches. L'inversion carnavalesque des rôles atteint son paroxysme dans cette longue scène qui colporte une satire anti-cléricale effrénée. Nous voyons ici le clergé en voie de fusionner avec le Vice , lequel processus est rendu explicite par l'ostension symbolisante du dernier déguisement d'Idleness, le Vice de The Interlude of a Contract of Marriage between Wit and Wisdom (1579, Francis Merbury) et dans Doctor Faustus (1592, Christopher Marlowe) par Mephistopheles qui est prié de changer de tenue vestimentaire et d'adopter la tenue d'un franciscain :

‘FAUSTUS
I charge thee to return and change thy shape.
Thou art too ugly to attend on me.
Go, and return an old Franciscan friar :
That holy shape becomes a devil best.
(Doctor Faustus 383 , 1. 3. 23-26)’

Notes
383.

Edition utilisée : Christopher Marlowe : The Complete Plays, éd. J. B. Steane, Harmondsworth: Penguin Books, 1980.