1. Critères littéraires et éthiques de la "tragi-comédie de la Renaissance"

1. 1 Hybridation du théâtre Tudor

Fulgens and Lucrece de Henry Medwall (1497) a le mérite d'être la première pièce introduisant des innovations inspirées par la comédie italienne, mais ce sont Ralph Roister Doister (1552, Nicholas Udall) et Gammer Gurton's Needle (1553, W. Stevenson) qui sont fréquemment citées comme les premières comédies vernaculaires respectant une forme régulière (regular comedies) conforme à la structure néoclassique 396 . Cependant, si l'air du temps du milieu du XVIe siècle est propice au surgissement de formes plus rigoureusement classiques, il n'en demeure pas moins que le type de pièce qui se dénomme souvent "interlude tardif" ou "pièce hybride", construit à partir d'une longue pratique de métissage, répond encore aux exigences et aux goûts de spectateurs qui acceptent le contrat implicite au double volet de l'édification et de la distraction. Nous songeons surtout à des pièces comme Cambyses (1561, ThomasPreston) et Apius and Virginia (1564, R.B.) qui sont caractérisées par leur propension de "melting pot" regroupant un très grand nombre de techniques reconnues comme typiques du corpus Tudor : des éléments de la farce, de la comédie domestique, de la moralité, de la moralité politique, de l'histoire tragique sont canalisés dans ces œuvres multiformes qui se proclament haut et fort être des tragicall comedies.

Cette pratique traditionnelle de faire cohabiter dans une même aire de jeu des éléments disparates attire le mépris de Sir Philip Sidney et d'autres membres de l'aristocratie érudite qui amorcent la tendance à légiférer sur l'univers dramatique. Malgré des critiques acerbes, le théâtre baptisé "mongrel tragi-comedy 397 " par Sidney résiste hardiment aux flèches décochées par les théoriciens littéraires. Les courants principaux de la pratique théâtrale ne peuvent pas être supplantés par quelques idées d'académiciens exacerbés et inexpérimentés : l'efficacité théâtrale et les goûts du public le plus large l'emportent sur ces derniers. Comme le précise A.P. Rossiter :

‘Indeed, inclusiveness was the supreme English requirement, and the true inner demand which left the high and doleful tragedy of the academics as a dead-end. To live on the inn-yard stage of the 'Cross Keys' at Newington Butts or the 'Rose', drama had to hold in it more of the full gamut of human life than was recreation for the Inns of Court or 'the better parte of the Universitye' 398 .’

Les dramaturges se soucient beaucoup de la réception de leurs pièces par le public : en témoignent leurs prologues et épilogues qui permettent aux auteurs de dialoguer avec la salle. Ce "dialogisme " nous renseigne sur les intentions des auteurs (parfois voilées sous la couverture de l'allégorie ou d'une persona)et sur le climat littéraire et social qui les environnait. Nous avons fait ressortir auparavant le double souci des dramaturges du "théâtre du Vice" d'instruire et de divertir. Les auteurs sont amenés le plus souvent à se mettre à l'abri d'accusations d'hérésie ou de trahison en faisant l'apologie du comique considéré comme dangereux pour la vie spirituelle des spectateurs mais aussi pour la vie corporelle des dramaturges.

Notes
396.

La structure de la New Comedy commence à faire partie du programme enseigné dans les grammar schools vers les années 1520. Il est à remarquer d'autre part qu'un certain nombre de spectacles de nature classique sont enregistrés dans les archives de l'université de Cambridge entre 1510 et 1575 environ. Consulter G.C. Moore Smith, College Plays Performed in the University of Cambridge, Cambridge: CUP, 1923, pp. 50-72.

397.

Sir Philip Sidney , A Defence of Poetry, éd. by Jan Van Dorsten, Oxford: OUP, 1997, p. 67.

398.

Rossiter, English Drama, p. 136.