5. 1 L'épanouissement de l'art théâtral et le lieu commun philosophique du theatrum mundi

Si dans le théâtre de cour de Richard Edwards un fort accent didactique persiste, ses efforts dramaturgiques tendent vers un alliage innovant du verbal et du visuel : "hear" et "see" "the effect". En effet au cours des années 1580 le théâtre élisabéthain est le creuset de nombreuses expérimentations et de nouvelles conventions artistiques vont voir le jour. Les dramaturges, à l'instar des Anciens, conscients du pouvoir créateur de leur art, soucieux de plaire au public pour vivre de leur art introduisent de nouveaux artifices. Afin de créer, à partir du langage théâtral une véritable rhétorique générale 555 , ils insufflent à ce langage une nouvelle dimension poétique, et transforme l'espace théâtralisé en un lieu de l'invraisemblance et de l'illusion. Robert Greene est l'un de ces dramaturges fort appréciés du public — "clapperclawed with the palms of the vulgar" pour reprendre un extrait de la préface de l'imprimeur du Q1609 de Troilus and Cressida . L'imprimeur Thomas Creede témoigne de la grande popularité de la pièce James IV en ajoutant cette phrase "As it hath bene sundrie times publikely plaide" à la page de titre de l'édition de 1598. Nous focalisons notre attention sur cette pièce non seulement pour sa structure élaborée et innovante, mais aussi pour la rivalité de longue date qui prévalait entre son auteur, Robert Greene, les "university wits" et Shakespeare . Notre propos n'est pas de tisser des liens ténus entre telle ou telle œuvre ni de déceler et mesurer les influences subies par Shakespeare. Il nous importe plus simplement de prendre conscience du foisonnement d'idées qui, associées à l'art de l'imitatio préconisé par les maîtres d'école, donnaient lieu à des chassés croisés dans le cadre de l'expérimentation dramaturgique dans la deuxième partie du XVIe siècle. Greene est certainement un jalon essentiel dans le développement du théâtre anglais : mais des parallèles entre des motifs, situations et personnages de James IV et des pièces "morales" démontreront l'influence de ces dernières sur Robert Greene lui même et attesteront de la continuité d'une tradition du spectacle bien ancrée. Toutefois nous pouvons constater que Shakespeare transcende l’ensemble, ses formes "hybrides" atteignant le statut d'androgyne, avec tout le symbolisme alchimique que le terme renferme.

Notes
555.

Il n'est peut-être pas inutile de joindre à cette notion les propos d'Anne Ubersfeld : les signes théâtraux sont à la fois icônes et index ; et ce que Brecht appelle le plaisir théâtral tient pour une part considérable à cette construction visible et tangible d'un fantasme que l'on peut vivre par procuration sans être tenu de le vivre pour soi, dangereusement. Mais il est un autre élément qui réagit dialectiquement avec le précédent, c'est la réflexion sur un événement tel qu'il éclaire les problèmes concrets de la vie même du spectateur : identification et distanciation jouant en symbiose leur rôle dialectique . Lire le théâtre p. 57.