5. 7 La valeur intrinsèque de la tragi-comédie James IV

Nous avons voulu investiguer le bien-fondé des remarques émises par des critiques comme F. H. Ristine concernant le statut de tragi-comédie de James IV , "the most important landmark in the whole formative period of English tragicomedy." 574 D'autre part, au regard du goût de l'époque pour le romanesque nous nous sommes efforcés d’explorer les techniques mises en œuvre dans la dramatisation d'une nouvelle dans cette pièce. Pouvons-nous cautionner la remarque de Lavin dans l'introduction de son édition de la pièce ? En effet, il stipule :

‘It is a critical cliché that Greene showed Shakespeare what could be done with romantic comedy : 'In Oberon we have the germ of a Prospero, in Bohan the germ of a Jaques' (Collins, II, 83); 'His induction serves as a model for Shakespeare's Taming of the Shrew ; and one of its characters , Oberon, is a rough draft for the fairy of that name in A Midsummer Night's Dream , as Bohan is a prototype of Jaques in As You Like It' (Dickinson, p. lxi) 575 ?’

Des allusions directes à la reprise par Shakespeare de certaines scènes et discours de Greene parsèment la littérature élisabéthaine. L'opinion générale est que la référence faite par Greene dans son Groatsworth of Wit (1592) est une attaque contre Shakespeare :

‘[…]for there is an vpstart Crow, beautified with our feathers, that with his Tygers hart wrapt in a Players hyde, supposes he is as well able to bombast out a blanke verse as the best of you : the onely Shake-scene in a countrey. O that I might intreat your rare wits to be imploied in more profitable courses 576 .’

Greene parodie ici des vers de Shakespeare : dans la troisième partie de Henry VI il fait dire au Duke of York : "O tiger's heart wrapp'd in a woman's hide (1. 4. 137) lorsque référence est faite à la reine Margaret. Le contexte et les circonstances précises qui ont provoqué cette attaque ne sont pas connus. Certains critiques discernent une accusation générale contre la profession de comédien vue le fait que plusieurs acteurs se mettaient à écrire des pièces et risquaient de porter ombrage aux dramaturges issus de l'université (University Wits). D'autres songent à une accusation de plagiat de l'œuvre de Greene dans les chroniques d'Henry VI, ou encore à de la jalousie à l'égard de Shakespeare qui se révèle plus talentueux et recueille plus d’éloges 577 !

Nous décèlerions volontiers un élément autobiographique dans le mélancolique Bohan qui fait ses adieux à Oberon et au destinataire réel et qui s’enferme de nouveau dans sa tombe à la fin du spectacle. En retournant en ce lieu de contemplation, il fait songer à la pose de Melancolia 1 d'Albrecht Dürer dont les cahiers de notes dévoilent que sa conception du rôle de l'artiste est liée à une conscience aiguë de l'écart qui séparait la vision de l'artiste de l'œuvre réalisée. Selon Klibansky :

‘Il serait donc légitime de croire que Dürer , conscient de l'écart séparant la conception de la production voulait exprimer, dans cette gravure pleine des symboles d'un monde païen, l'impulsion finale de l'artiste ayant tous les outils à sa disposition et connaissant les forces naturelles de Saturne et de la magie astrale mais privé du secours de Dieu 578 .’

Dürer compare l'artiste à Dieu dans l'esquisse qui accompagne sa Théorie de la proportion humaine. A l'instar du Divin, tous les jours il peut donner libre cours à ses idées pour créer de nouvelles formes et donner naissance à de nouvelles créatures. L'artiste n'est plus le simple imitateur de la nature, mais il devient créateur 579 . La fin de la pièce baigne dans une mélancolie néoplatonicienne : Bohan retourne à sa tombe accompagné par le chant d’une berceuse qui semble le mettre de nouveau en contact avec le spiritus mundi dans lequel l'artiste puise sa force créatrice.

L'une des questions posée par la tragi-comédie de la Renaissance concerne la possibilité d’amélioration de l'être humain. L'homme peut-il atteindre les idéaux fixés par le code chevaleresque et social ? Peut-il être véritablement civilisé ? Lui est-il possible de créer un Empire sacré sur terre ? La tragi-comédie en général rêve le rêve tout en soulignant les difficultés auxquelles elle se heurte et en suggérant que tout pourrait recommencer. Bohan termine le rêve sur une note pessimiste :

‘Hail me no mere with shows of guidly sights,
My grave is mine, that rids me from despites.
Accept my jig guid king, and let me rest,
The grave with guid men, is a gay built nest.

(James IV , Chorus, 7-10)’
Notes
574.

Risitne, English Tragicomedy, p. 80.

575.

Lavin, James IV , p. xv.

576.

Ibid. , p. x.

577.

Ibid., p. xi.

578.

R. Klibansky, Saturne et la mélancolie, p. 18.

579.

Ibid., p. 19.