7. The Winter’s Tale (1610-1611)

Introduction

Si Shakespeare met beaucoup d'emphase sur l'interaction entre les apparences et la réalité dans ses dernières pièces c’est en partie pour souligner la rupture qui s’opère entre l’aspiration des personnages principaux à réaliser un projet, un amour ou une parfaite amitié, et le désespoir de ne jamais y parvenir. Cette rupture étant consommée débute alors une épreuve tragique de purification qui va conduire l’être à se dépouiller de sa laideur pour révéler la beauté de son moi intérieur et à puiser en lui une force providentielle capable de démêler le nœud tragique et d’atteindre l’harmonie profonde, au grand émerveillement des personnages et des spectateurs. En effet, non seulement les personnages de la pièce sont éblouis, mais les spectateurs tombent aussi sous le charme de l’émerveillement parce qu'ils acceptent d'être manipulés par le dramaturge et de croire en la possibilité d'événements quasi miraculeux. La réaction du spectateur relève du paradoxe de l'imbrication d'éléments tragiques et comiques qui joue simultanément sur l'effet de distanciation et d'identification. En montrant davantage les rouages du drame et en s’appuyant sur une dialectique subtile qui fait osciller la scène entre l’effet de réel et l’effet théâtral Shakespeare joue de son auditoire et met en évidence le rôle cathartique de l'artifice. Certes ceux qui n'approuvent pas son artificialité remettront en question la viabilité et la valeur de la tragi-comédie avec ses improbabilités, sa superficialité et son optimisme apparemment facile. Mais par contre ceux qui reconnaîtront le pouvoir de l'art à renouveler notre perception, seront sensible à l’invitation de mettre en balance le théâtre et la vie, l'art et la nature comme le souligne d’ailleurs avec justesse Joan Hartwig :

‘Shakespeare explores the difference between the potential and the actual, and between the yearning and the having. […]we are led, if we allow it, to accept the poetic lie as truth. The fairy tale proves to be a pattern of actual experience. Hermione lives in The Winter's Tale, and Leontes may very well question the manipulation of events that allows her to return to him (5. 3. 139). But the return is so wonderful, so much better than man can afford to desire, that a little deception is not a difficult price to pay for the experience — especially when the audience has been told all along it is being deceived. 596

A la manière du personnage-Vice, Shakespeare , maître de cérémonies, manipule son auditoire mais ne cherche pas à dépasser la mesure dans sa tromperie. Au contraire il invite constamment le spectateur à réévaluer ce qu’il perçoit comme la réalité et à s’interroger sur les voies tracées par les dogmes et les croyances.

Si dans Cymbeline et The Winter's Tale la vision de la vie, pareille à "un conte de fée" hérite des romances chevaleresques, du théâtre providentiel ou encore des miracles il est intéressant de noter que la doctrine chrétienne de la grâce qui constitue la trame des miracles, basée sur le schéma péché-repentir-réconciliation, structure ces pièces, comme le démontre F. D. Hoeniger dans l'introduction de l'édition Arden de Pericles . La synthèse des techniques de dramaturgie médiévale et renaissante est aussi très présente dans la composition des comédies et tragédies romanesques shakespeariennes 597 , comme le fait remarquer le critique L. G. Salingar. A l’analyse pertinente qu’il développe concernant les éléments séculaires et religieux il semble opportun d’y ajouter les affinités avec les théories de Guarini et de son disciple John Fletcher qui tous mettent en exergue une certaine transparence dans la manière de présenter l'univers théâtral tragi-comique. Cette transparence peut s’accompagner d’un effet de perspective double dans un théâtre auto-réflexif selon Granville-Barker :

‘This art, which deliberately displays its art, is very suited to a tragi-comedy, to the telling of a serious story that must yet not be taken too seriously, lest its comedy be swamped by its tragedy and a happy ending become too incongrous. […] The emphasizing of the artifice, the "folly of the fiction," by which Cloten's corpse comes to be mistaken for Posthumus' does much to mitigate the crude horror of the business, to bring it into the right tragi-comic key. Keep us intrigued by the preparations for the trick, and we shall gain from its accomplishment a half-professional pleasure ; we shall be masters of the illusion, not its victims. And throughout the whole elaborate scene of revelation with which the play ends we are most artfully steered between illusion and enjoyment of the ingenuity of the thing. 598

La même "ingénuité technique" est mise à profit dans The Winter's Tale dans la scène virtuelle où Antigonus est dévoré par un ours : ‘"Exit, pursued by a bear"’ (3. 3. 57). La scène grotesque que nous sommes invités à imaginer est tempérée par le commentaire comique du fils du vieux berger. Cette scène, en apparence anecdotique, met justement en perspective le mode tragi-comique dont l’équilibre instable entre comédie et tragédie est la résultante de la juxtaposition ou plus précisément du fusionnement des deux. Guarini l’a fort bien exprimé lorsqu’il dit : "For he who makes a tragicomedy does not intend to compose separately either a tragedy or a comedy, but from the two a third thing that will be perfect of its kind." 599 En produisant une comédie, le dramaturge nous invite à nous distancier des personnages ; en montant une tragédie, il nous convie à faire comme si le spectacle était réel, à accorder une existence à Lear, à Hamlet , à Othello  ; en concevant une tragi-comédie , le dramaturge nous laisse entrevoir que tout est artifice et essentiellement le fruit de l’imagination, et nous incite cependant à rentrer pleinement dans son jeu .

Notes
596.

Joan Hartwig, Shakespeare’s Tragicomic Vision,p. 18.

597.

L. C. Salingar, "Time and Art in Shakespeare 's Romances, Renaissance Drama, IX (1966), p. 24.

598.

Harley Granville-Barker, Prefaces to Shakespeare , vol. 1, London: B. T. Batsford Ltd, pp. 467-468.

599.

Gilbert, Literary Criticism, p. 512.