7. 3 La dramatisation d’un tyran tragi-comique

Leontes possède par moments les traits du tyran sénéquien, exhibant un "furor" hyperbolique qui se convertit en contrition sincère, transformant ainsi une tragédie initiale en une comédie festive. Les tortures que la jalousie fait subir à Leontes s’expriment dans une gamme étonnante de nuances rehaussée d’images sexuelles violentes propres à évoquer toute sa férocité et son dégoût. Le langage imprégné de connotations charnelles donnent forme à sa déraison :

‘Is whispering nothing ?
Is leaning cheek to cheek ? Is meeting noses ?
Kissing with inside lip ? Stopping the career
Of laughter with a sigh ? — a note infallible
Of breaking honesty. Horsing foot on foot ?
Skulking in corners ? Wishing clocks more swift,
Hours minutes, noon midnight ? And all eyes
Blind with the pin and web but theirs, theirs only,
That would unseen be wicked ? Is this nothing ?
Why then the world and all that’s in’t is nothing,
The covering sky is nothing, Bohemia nothing,
My wife is nothing, nor nothing have these nothings

If this be nothing. …

(1. 2. 284-298)’

Leontes, comme le spectateur, est conscient du monde hallucinant dans lequel sa passion le transporte, passion qui frise une caricature d’elle-même. Dans un moment d’introspection le personnage analyse le cheminement de son esprit  :

‘Affection 603  ! Thy intention stabs the center
Thou dost make possible things not so held,
Communicat’st with dreams — how can this be ?
With what’s unreal thou coactive art,
And fellow’st nothing. […]

(1. 2. 140-144)’

Ce terme 'affection' qui apparaît fréquemment dans la prose de Sénèque , est également copieusement illustré par ses héros. Leontes reconnaît que l’intensité de cette perturbation empoisonne son cerveau et endurcit son cœur. Sa passion se nourrit de fantaisies et de songes et au lieu de la dompter il transfère son propre désir inavouable sur sa femme en l’assimilant à Eve. Dans ce contexte, Shakespeare met en scène le tyran sénéquien stéréotypé en s’inspirant du dialogue du domina-nutrix. Camillo tente de réfréner la passion meurtrière de Leontes lorsque ce dernier raille la soi-disant infidélité de sa femme.

‘CAMILLO
Good my lord, be cured
Of this diseased opinion, and betimes,
For ‘tis most dangerous.

(1. 2. 299-301)’

Mais le tyran sénéquien n’a pas coutume d’écouter autrui et devient au contraire incontrôlable 604 . Tel est le cas de Leontes qui refuse de prêter attention à une autre voix, qu’elle soit de nature humaine ou divine. Son hubris le pousse au paroxysme et il dément la vérité prononcée par l’Oracle de Delphes. A l’annonce de la mort de son fils Maximillius, il est immédiatement frappé de remords (3. 2. 146-147) ; contrairement au tyran sénéquien qui ne se repent jamais aussi rapidement — le revirement a lieu en général vers le cinquième acte de la pièce — Shakespeare amorce déjà le processus d’expiation et de réconciliation au troisième acte.

Notes
603.

"Affection" signifie "affectio" une perturbation, une passion.

604.

Cette convention est ainsi réutilisée et modulé dans le dialogue entre Antigonus (2.1) et Paulina (2.3) personnages qui ne figurent pas dans le Pandosto de Greene mais qui servent ici le dessein tragi-comique.