7. 5 La charnière du diptyque : transition tragi-comique

Ce conte merveilleux se poursuit sans répit et montre combien la vie et la mort sont interchangeables. Alors que l'Oracle laisse deviner que le bébé Perdita survivra aux querelles fracassantes et à la tempête des éléments, voici que des bergers hilares relatent la mort d'Antigonus déchiqueté par un ours et la disparition de marins victimes des flots, en des termes à la fois comiques et grotesques. De la Sicile, condamnée à la stérilité et au désespoir par la folie de son roi, nous sommes transportés en Bohême pastorale , saine et vigoureuse, qui accueille l'enfant abandonné sans blasphémer contre l'acte sexuel, même si on le sent entaché de l'équivoque du péché, de "some stairwork, some trunk-work, some behind-door-work" (3. 3. 71). Cette dernière scène de l'acte 3 favorise la transition entre la partie tragique et la partie comique de l'action, transition qui effectue une fusion entre deux registres oppositionnels.

Shakespeare introduit la symbolique du monde pastoral pour effectuer le passage entre l'univers criminel et mourant de la Sicile et l'univers réconciliant et confiant de l'avenir de la Bohême, mais en inversant les lieux propres au cadre pastoral conventionnel. Les paroles célèbres qu’adresse le vieux berger "Thou metst with things dying, I with things new-born." (3. 3. 104-105) sont un clin d'œil de Shakespeare pour souligner le passage de l'hiver au printemps. L'ours "tragi-comique" est sollicité aussi pour symboliser le caractère ambigu de la métamorphose . Selon George Louise Clubbe, l’ours est l'animal emblématique par excellence, présent aussi dans la tragi-comédie pastorale italienne de l'époque, considéré potentiellement tragique ou comique dans une légende populaire qui voulait que ce soit la mère qui donne forme à son ourson à sa naissance en le léchant 606 .

Dans le Pandosto de Robert Greene , le passage correspondant à la fête de Sheep-shearing est très court. C'est donc un choix délibéré de la part de Shakespeare que de vouloir étoffer l'épisode et situer la partie transitionnelle "comique" de la pièce à l'enseigne de la pastorale et de la fête rurale et d’en faire le véritable pivot de la tragi-comédie . L'opposition traditionnelle entre le monde sophistiqué et méchant de la cour et l'univers pastoral où fleurit la vertu est ainsi établie, avec une pointe d'ironie propre à l’univers shakespearien.

Notes
606.

Clubbe, Italian Drama, p. 141. Clubbe souligne le fait aussi que le loup est le plus détesté des prédateurs du paysage pastoral, étant associé au vice insidias, comme dans les Bucoliques et dans les Géorgiques de Virgile. Le nom du prédateur de The Winter's Tale, Autolycus (self wolf) fait ressortir le choix conscient du paysage anthropomorphique pastoral.