7. 6 L'amour chaste bafoué dans la tragi-comédie pastorale

Dans l'univers de la tragi-comédie pastorale , l'accent est mis en général sur le thème de la pureté et de l'intégrité comme conditions préalables au bonheur du couple et par extension à l'harmonie sociale, comme nous l’avons déjà souligné lors de notre exploration du Pastor Fido de G. Guarini . Mais la Bohême de The Winter's Tale n'est pas présentée comme un Eden pastoral. Le déroulement de la fête est ponctué de moments déstabilisateurs qui risquent à tout instant de semer la discorde et d'interrompre la fête 607 . L'amour chaste, autrefois bafoué par Leontes, ne fait pas l'objet des afféteries d'Arcadie . Il est à la fois conté d'une manière grossière par Autolycus et d'une manière poétique lorsqu'il est associé aux rites saisonniers. Perdita est en effet chargée de la distribution des fleurs emblématiques dont les correspondances secrètes avec les âges de la vie, le cycle des saisons, la vitalité de l'amour ou la langueur des insatisfactions, la jeunesse et l'amour, la vieillesse et l'hiver, le printemps et l'espoir, la naissance et la mort sont évoquées avec la grâce héritée de sa mère, Hermione. Autolycus, cynique et drôle, révèle des correspondances plus réalistes et grivoises dans les fleurs emblématiques et dans les rites saisonniers qu'il interprète selon sa propre conception. Il a appris son art à la ville, parmi les courtisans et les cony-catchers . Son rôle rappelle celui du personnage-Vice et celui de Corisca, agent de la felix culpa qui noue et dénoue les fils des intrigues de la tragi-comédie de G. Guarini.

Perdita est le rayonnant symbole du monde pastoral. Sa beauté, son innocence, sa générosité inspirent l'admiration de tout son entourage, sauf celle du prédateur Autolycus . Lorsqu'il entre en scène en chantant le sacre du printemps (4. 3. 1) il pourrait être pris pour le pendant de Perdita qui, habillée comme Flore (4. 4. 3) distribue des fleurs avec une vigueur printanière. Cependant les différences entre ces deux personnages sont très marquées. Perdita se méfie des chansons d'Autolycus avant même de le rencontrer et avertit son serviteur qu'elle ne voudrait point entendre de "saletés". Autolycus n'est pas un admirateur de ses charmes, s'y référant comme le boulet ("clog") sur les talons de Florizel (4. 4. 661). Perdita s'entoure de choses naturelles comme les fleurs alors qu'Autolycus est colporteur d'articles façonnés. Perdita déteste la peinture, dans le jardin comme dans le boudoir, et pendant l'échange qu'elle entretient avec Polixenes sur l'art et la nature dans le domaine de l'horticulture, elle révèle sa préférence pour la nature non contaminée par l'art :

‘PERDITA
I'll not put
The dibble in earth to set one slip of them,
No more than, were I painted, I would wish
This youth should say 'twere well, and only therefore
Desire to breed by me. […]

(The Winter's Tale, 4. 4. 99-103)’

Autolycus vend des babioles qui artificiellement mettent en lumière la beauté féminine ou masquent la laideur de la maladie :

‘Masks for faces and for noses,
Bugle-bracelet, necklace amber,
Perfume for a lady's chamber ;
Golden coifs, and stomachers […]

(The Winter's Tale, 4. 4. 217-220)’ ‘But that our feasts
In every mess have folly, and the feeders
Digest it with a custom, I should blush
To see you so attired ; swoon, I think,
To show myself a glass.

(The Winter's Tale, 4. 4. 10-14)’ ‘Ha, ha ! What a fool honesty is, and trust — his sworn brother — a very simple gentleman ! I have sold all my trumpery. […] My clown, who wants but something to be a reasonable man, grew so in love with the wenches' song that he would not stir his pettitoes till he had both tune and words, which so drew he rest of the herd to me that all their other senses stuck in ears. You might have pinched a placket, it was senseless. […] No hearing, no feeling but my sir's song, and admiring the nothing of it.
(The Winter's Tale, 4. 4. 584-599)’ ‘FLORIZEL
Old sir, I know
She prizes not such trifles as these are.
The gifts she looks from me are packed and locked
Up in my heart […]

(The Winter's Tale, 4. 4. 343-346)’
Notes
607.

Laroque, Shakespeare et la fête, p. 237. "Ces scènes ne marquent en effet pas seulement une opposition par rapport à la tonalité générale des trois premiers actes, mais elles rappellent constamment en contrepoint une sourde menace, à savoir que l'élément tragique peut à tout instant réapparaître […]".