1.L'incorporation de l'objet

1.1. La description de l'incorporation

L'incorporation peut être définie comme un processus morpho-syntaxique qui aboutit à la fusion d'un des constituants nominaux de la phrase avec le verbe. Ce terme peut être le sujet, l'objet, ou un autre complément. Ce processus est observé dans les familles des langues les plus diverses et de ce fait ne concerne pas une langue ou une famille de langues particulières. Pour bien observer cette particularité, on peut donner les exemples suivants: le premier est tiré du nahuatl classique, où l'objet peut apparaître sous forme incorporée, et le deuxième vient du tchouktche, langue paléo-sibérienne, où le verbe peut incorporer, outre l'objet de la phrase transitive, le sujet d'une phrase intransitive :

(1-1) ni-c-cua in naca-tl
(IS.1sg-IO.3sg-manger / ART / viande-SUF)
Je mange la viande.
(1-2)  ni-naca-cua
(IS.1sg-viande-manger)
Je mange de la viande.
(1-3)  Y'ilg-en amecat-g'e.
(lune-ABS / cacher-3sg.AOR)
La lune s'est cachée.
(1-4) Y'elg-amecat-g'e.
(lune-cacher-3sg.AOR)
La lune s'est cachée.
(Polinskaja et Nedjalkov 1987: 240)

La phrase (1-1) possède un objet autonome, à savoir in naca-tl. L'indépendance de ce constituant peut s'apprécier d'une part par l'article défini in, d'autre part par le suffixe nominal du nahuatl, -tl, qui n'apparaît qu'avec des constituants nominaux autonomes. Dans la phrase (1-2), on peut voir le même constituant incorporé: il n'est ni précédé par l'article défini in, ni suivi par le suffixe nominal -tl. En somme, il a perdu son autonomie syntaxique et s'est transformé en partie intégrante du verbe. Ceci est valable pour le deuxième groupe de phrases: en (1-3), nous avons un sujet autonome y'ilg-en (la lune) qui est marqué par le morphème de l'absolutif -en, alors que ce même sujet a été incorporé en (1-4), il a perdu son autonomie, et de ce fait n'est plus marqué par l'absolutif (l'alternance de voyelle i/e dans ce mot est dû au fait que le tchouktche est une langue à harmonie vocalique). Cette fusion du lexème substantival avec le verbe est ce qu'on appelle l'incorporation.