1.6. Les propriétés pragmatiques

1.6.1. La définition de la fonction pragmatique

En ce qui concerne la notion de "pragmatique", après avoir étudié plusieurs documents sur l'incorporation nominale, nous avons constaté que d'une part, il existe plusieurs termes chez différents linguistes qui renvoient plus ou moins à la même notion, et d'autre part, le même terme peut avoir différentes valeurs notionnelles selon les linguistes. Etant donné que pour parler de ce que nous considérons comme une fonction importante de l'incorporation nous avons besoin de clarté, nous avons décidé de prendre un des termes employés par des linguistes, en l'occurrence " fonction pragmatique", le définir pour éclaircir ce que nous entendons quand nous l'employons, et nous y tenir tout le long de ce travail. La fonction pragmatique est un terme appliqué à l'organisation de l'information selon l'importance que lui accorde l'énonciateur. Ce dernier choisit de mettre certains éléments de son discours en premier plan en leur donnant une valeur informative plus élevée, et certains autres en arrière plan, en jugeant qu'ils portent des informations plus faibles en valeur. Ce choix se fait selon ce que l'énonciateur veut dire ou ce qu'il a éventuellement déjà dit, et selon ce que son interlocuteur sait de manière générale sur le monde. Autrement dit, la pragmatique concerne la hiérarchisation de la saillance de l'information échangée entre les interlocuteurs. Si on accepte cette définition, on se rend compte qu'aucun énoncé n'est neutre sur le plan pragmatique, déjà parce que chaque énoncé comporte un thème, l'information connue, sur lequel vient se greffer le rhème, l'élément nouveau de l'information. Mais à part cette bipartition de l'énoncé il existe d'autres moyens pour faire ressortir un élément comme ayant une valeur informative plus élevée et le mettre en premier plan du discours; le discours lui-même vient jouer un rôle prépondérant: il faut organiser l'énoncé en fonction du développement du discours, un élément qui ne joue pas un rôle saillant dans la partie du discours qui suit peut être mis en arrière plan dès le départ.

Lorsque on s'intéresse à la fonction pragmatique des langues, on est souvent confronté à des termes concernant les processus mentaux qui interviennent dans le phénomène langagier. Ces termes sont parfois clairement définies par les linguistes qui les emploient, mais malheureusement ce n'est pas toujours le cas. Ceci peut aboutir d'une part à une compréhension approximative de ces termes et des notions qu'ils sont censés représenter, et d'autre part à l'emploi du même terme pour décrire des processus mentaux différents, bien que proches, à cause de l'opacité partielle du terme. Nous avons eu ce problème avec quelques termes qui renvoient à des notions décrivant certains processus mentaux intervenant dans la mise en relief des éléments d'un énoncé, ou de l'énoncé lui-même. Pour nous, il s'agit de deux termes suivants: la saillance et la pertinence. En effet, quand ces mots n'ont pas une définition technique, on peut souvent les employer indifféremment pour décrire le caractère important d'un élément par rapport à d'autres; mais à partir du moment où on veut leur donner des valeurs techniques, il faut les définir d'une manière claire et cohérente, de sorte que chaque terme ne renvoie qu'à un phénomène linguistique bien précis, et que si synonymie il y a, elle soit explicitée. Comme il a été dit plus haut, certains linguistes utilisent ces différents termes pour décrire un seul phénomène qui est la mise en relief en général. C'est surtout le cas de la fonction pragmatique de l'incorporation nominale, où le substantif incorporé manque de relief sémantique et syntaxique par rapport aux autres constituants de la phrase, et c'est dans ce cas que les linguistes parlent indifféremment du manque de saillance ou de pertinence du substantif incorporé. Nous avons trouvé que ces deux termes ont des définitions linguistiques précises, qui ne sont pas les mêmes, et qu'ils renvoient à des notions bien différentes dans le processus mental qui aboutit à mettre certains éléments en relief. C'est pour cette raison que nous nous sommes basée sur les travaux de Langacker d'une part et Sperber et Wilson d'autre part pour donner des définitions de "saillance" et de "pertinence" respectivement, et ensuite nous nous efforcerons de n'utiliser chaque terme que conformément à sa définition.