1.8.1. L'incorporation sémantique

En ce qui concerne l'aspect sémantique de l'incorporation, il se manifeste de manière suivante: quand un verbe a un sens général et imprécis, l'énonciateur peut se servir d'un des constituants nominaux de la phrase pour apporter une précision sur le sens du verbe. A partir de là, le procès exprimé par le verbe ne s'applique qu'au domaine désigné par le substantif. Plus le sens du verbe est imprécis au départ, plus la présence du substantif devient indispensable. Par exemple, le verbe "avoir" pris isolément n'évoque que très vaguement l'idée d'une possession quelconque, alors que "avoir soif" donne une idée bien précise du champ d'application de la "possession". Il nous semble que le rôle joué par le substantif français est, sémantiquement, équivalent du celui du substantif incorporé dans les langues incorporantes. C'est à ce stade que certains composés ainsi constitués, qui renvoient à un procès suffisamment employé dans la langue pour être digne d'avoir sa propre désignation, peuvent se lexicaliser et entrer dans le vocabulaire de la langue en question (cf. 1.3, M. Mithun, le type 1 de l'incorporation ou l'incorporation lexicale). Donc un composé peut se lexicaliser, se stabiliser dans la langue. Et c'est pour cette raison que nous les avons appelés des composés sémantiques: une fois formés, ils sont lexicalisés parce qu'ils sont les seuls à pouvoir apporter cette nuance sémantique dont la langue a besoin. La langue dullay présente ce type d'incorporation: " [...] in Dullay, NI [Noun Incorporation] is a basically semantic process, which is exploited only secondarily for pragmatic purposes." (Sasse, op. cit., p. 250). Il peut aussi arriver que l'incorporation soit employée pour créer du nouveau sens: le composé substantif-verbe peut renvoyer à un procès bien précis pour lequel la langue n'a pas d'autre verbe.