2.2.1.2. L'humanitude

Comme nous l'avons signalé, l'humanitude a aussi un rôle important dans le marquage différentiel de l'objet. En persan, ce facteur n'entre en jeu que pour les objets indéfinis spécifiques 24 :

(2-13) mard-i râ did
(homme-un / POST / il vit)
Il a vu un homme.
(2-14) medâd-i xarid
(crayon-un / il acheta)
Il a acheté un crayon.

Pilot-Raichoor affirme qu'en badaga, langue dravidienne, l'objet humain est toujours marqué, même quand l'identité de l'individu qui est le référent de l'objet n'est pas connue:

(2-15) ama ondu manusa-na noodida
(lui / un / homme-ACC / voir + passé + 3sg)
Il a vu un homme.
(2-16) ama ondu kudare/(-ya) noodida
(lui / un / cheval / (ACC) / voir + passé + 3sg)
Il a vu un cheval.
(Pilot-Raichoor 1994:364-5)

Alors que dans la phrase (2-15) l'accusatif est obligatoire et ne peut pas être omis, dans la phrase (2-16) dont l'objet n'est plus humain, la marque peut être omise sans que son absence nuise à la bonne formation de la phrase. Dans ces exemples on peut voir deux choses importantes: d'un côté on voit qu'il s'agit effectivement d'un continuum allant de l'humain au non humain en passant par différentes étapes, et de l'autre nous remarquons que l'absence du trait "+humain" ne veut pas dire une omission automatique de la marque d'accusatif, il s'agit plutôt du fait que les chances de sa présence diminuent au fur et à mesure qu'on s'éloigne du trait "+humain" sur le continuum.

Il semble que les deux caractères humain et défini interviennent souvent ensemble et sont en corrélation avec le marquage de l'objet. A ce sujet, Croft donne l'explication suivante:

‘"[...] there is a clustering of animacy and definiteness, so that the higher a direct-object noun phrase is found on the animacy AND/OR the definiteness hierarchy, the more likely it is to be marked with a case marker." (1990:127) 25 .’

C'est pour cette raison que G. Lazard a regroupé ces deux traits dans un seul continuum auquel il donne le nom d'"individuation" (cf. 1.4.1). En résumé, on peut dire que plus un référent est individué, plus le constituant qui le représente dans la phrase a de chances d'être marqué.

Il est donc évident que le sémantisme de l'objet a des répercutions sur son marquage. Il reste à savoir quelle peut être l'explication de tels changements. Une explication souvent avancée, et proposée notamment par G. Lazard est que le facteur sémantique qui conduit au marquage différentiel de l'objet est la nécessité qui existe de distinguer l'objet du sujet: l'objet peu individué est bien distinct du sujet prototypique, celui d'une phrase d'action. Par contre, un objet fortement individué doit être marqué pour être clairement distingué du sujet, et c'est là que le marquage de l'objet intervient pour rétablir cette distinction (Ibid.).

Notes
24.

Exemples de Milanian, cité par G. Lazard, 1982:185.

25.

Il ne faut pas perdre de vue que la hiérarchie de "animacy" de Croft est basée directement sur les unités grammaticales (les pronoms et les substantifs). Il la décrit comme suit:

Animacy: first, second-person pronouns < third-person pronoun < proper names < human common noun < nonhuman animate common noun < inanimate common noun. (op. cit., p. 112)

On peut penser qu'a priori cette hiérarchie est différente de l'humanitude, mais lorsqu'on regarde de plus près, on se rend compte qu'en fait les éléments les plus haut placés dans la hiérarchie de Croft sont ceux dont le référent a le trait +humain.