2.4.4. Les propriétés pragmatiques

La fonction pragmatique concerne d'une part la division de l'énoncé en thème/rhème, et d'autre part la saillance relative des éléments de l'énoncé. En ce qui concerne la composition, on peut dire que ces deux notions pragmatiques sont présentes. Effectivement selon G. Lazard il n'y a de coalescence que si les deux termes en question appartiennent au même membre de la structure de la visée communicative (ils sont tous les deux soit thématiques, soit rhématiques) et cette règle est générale (op. cit. p. 214).

En ce qui concerne la deuxième division, une distinction de saillance peut s'opérer entre les différents termes du rhème. Avec l'incorporation nous avons vu que quand un objet n'a pas de saillance dans le discours il est incorporé. Dans les langues qui ne possèdent pas le phénomène d'incorporation, sa fonction est remplie par la composition. Lorsqu'un objet n'est pas saillant aux yeux de l'énonciateur et qu'il est indéfini, il peut entrer en composition avec le verbe, et c'est ainsi que son statut d'élément non autonome de l'énoncé est exprimé. Pour mieux voir cette fonction de la composition, nous donnons les phrases turques:

(2-47) Eski müdür kitapyazdi.
(ancien / directeur / livre / écrivit)
L'ancien directeur a écrit (un/des) livre(s).
(2-48) ) Eski müdür kitab-i yazdi.
(ancien / directeur / livre-ACC / écrivit)
L'ancien directeur a écrit le livre.
(Underhill 1976).

La différence pragmatique des deux phrases est mise évidence quand on voit que dans la première ce qui est important n'est pas le ou les livres que le directeur a écrit individuellement, mais c'est le fait que le directeur a procédé à l'écriture. Par contre dans la deuxième phrase ce qui est important est le sort du livre en tant qu'individu. Par ailleurs, il est sûr que dans le discours qui a aboutit à la deuxième phrase "le livre" constitue un élément saillant du discours.

A partir de là, on peut dire que la relation de composition de l'objet sert essentiellement à la mise en arrière-plan (backgrounding) de l'information apportée par l'objet. Le rapport qui lie la composition et le marquage différentiel de l'objet est le suivant: lorsqu'un objet est indéfini il a une saillance pragmatique réduite. Un tel élément se met, d'une manière générale, en arrière-plan de la scène décrite à partir de l'événement. Un objet peu saillant peut perdre une partie de son autonomie syntaxique, il peut de ce fait dépendre d'un autre élément de la phrase. On peut dire que l'absence du marquage prépare en quelque sorte l'objet à entrer en composition avec le verbe. Un phénomène qui vient renforcer cette analyse c'est le fait que dans les langues qui connaissent le marquage différentiel de l'objet, quel que soit l'ordre habituel des constituants de l'énoncé et surtout la place de l'objet marqué, une fois qu'il ne l'est plus, il a tendance à se mettre au voisinage du verbe et souvent il se place immédiatement à côté de celui-ci.