3.7.2.2. L'évolution historique de râ

Du point de vue diachronique, le morphème existait déjà en vieux perse sous forme de râdi avec le sens de "pour": awahya-râdi est un composé du vieux perse constitué d'un démonstratif au génitif (awa-hya-) et de -râdi. Le sens du composé est "pour cela", ce qui veut dire que le morphème râdi est celui du datif (Abolghasemi 1994a:94). En moyen perse, ce morphème apparaît sous forme de rây. Il sert à marquer le constituant nominal exprimant le but, la référence, le bénéficiaire, mais il ne marque pas l'objet direct de la phrase (Karimi 1990:180):

(3-99) uš ân vis hamiz kand hamiz šahr
(lui / ce / village / aussi / il enleva / aussi / ville)
Il a enlevé le village et aussi la ville.

Dans cette phrase, les termes vis et šahr sont les objets direct, mais ils ne sont pas suivis de rây (Ibid.). En persan moderne, ce morphème prend sa forme actuelle: . Dans les textes du début de la période moderne, ne suit pas encore l'objet direct 49 :

(3-100) xosro tus be d-u dâd
(roi / Tus / à / lui / il donna)
Le roi lui a donné Tus.
(Ibid.)

Durant cette période, le morphème suit certains constituants de la phrase: il marque l'objet indirect des verbes tels que zadan (frapper), resânidan (faire arriver), etc.; il suit le constituant datif du verbe goftan (dire); il remplace les prépositions az (de) et barâye (pour) de même que la préposition ancienne bar (sur, à) et finalement il indique la relation oblique d'un constituant par rapport au verbe budan (être) si ce dernier a le sens d'"avoir". Le seul point commun entre les constituants marqués par c'est le fait qu'ils sont tous spécifiques (Ibid., pp. 181-2).

Ce résumé historique nous montre que était, à l'origine, la marque du datif, ensuite il a marqué le cas oblique en général, et il a finalement endossé la fonction du marquage de l'objet et du thème. L'évolution de , si nous prenons compte d'autres langues, n'est pas isolée. En effet il existe plusieurs manières, pour une langue, de créer une marque d'objet direct. En espagnol, le morphème a, qui marque d'habitude l'objet spécifique et humain, vient historiquement du latin ad (allatif) qui, en roman, marquait le datif. Ce même terme latin a donné par ailleurs le préposition à en français avec un sens datif (donner quelque chose à quelqu'un) et un sens locatif (aller à Paris). La deuxième façon de créer une marque d'objet c'est à partir d'un article défini. En effet le sujet est souvent défini, donc accompagné de l'article défini. L'objet, lui, est souvent indéfini. A partir de là, la forme définie du nom est assimilée à la forme du constituant sujet, d'où l'emploi de l'article défini pour marquer un objet défini. Parfois, c'est un ancien démonstratif qui évolue vers la fonction du marquage de l'objet: le morphème d'accusatif du hongrois, -t, est morphologiquement semblable à un ancien démonstratif de cette langue.

Pour ce qui est de la fonction de thématisation de , nous pouvons dire qu'elle peut être créée à partir d'une valeur bénéfactive. Par exemple, en français nous pouvons entendre des phrases comme: "Pour lui, il s'est passé quelque chose": le terme "pour", qui a une valeur bénéfactive, sert à thématiser l'élément qui le suit.

Notes
49.

Comme le fait remarquer l'auteur, ce type de construction, où l'objet direct n'est pas suivi de , est toujours employé dans certains dialectes du sud-ouest de l'Iran.