4.1.3. Le persan moderne

Historiquement, l'époque du persan moderne commence au neuvième siècle et dure encore. Mais il est évident que pendant ces onze siècles, la langue, bien que plutôt stable, a changé tout de même et que nous ne pouvons pas parler de toutes les époques du persan moderne de la même manière. C'est pour cette raison que Natelkhanlari (1994: 11-26) a subdivisé le persan moderne en trois périodes différentes 56 :

  1. 1. La période de "la genèse et de la maturité" qui va du neuvième au début du treizième siècle; c'est la période de la stabilisation phonétique et orthographique du persan, fortement influencé par la langue arabe.
  2. 2. La période du "persan d'études" qui continue jusqu'au dix-neuvième siècle; il s'agit d'une période où le persan moderne a été influencé par les différentes langues des différents conquérants du pays, comme les mongols et les turcs. Par ailleurs, l'état iranien à cette époque étant souvent gouverné par des petites principautés autonomes, le persan ne s'était pas encore imposé comme la langue de tout le pays. Les différents dialectes iraniens ou non iraniens n'ont cessé d'exercer une influence sur le persan.
  3. 3. La période du "changement" qui correspond au persan actuel. Les deux facteurs les plus importants de ce changement sont d'une part l'ouverture du pays sur le monde occidental, qui lui a apporté de nouvelles technologies et de nouveaux mots, et d'autre part le progrès de la distribution des livres grâce à l'imprimerie qui a eu comme résultat l'accès de plus en plus de gens aux livres, et par là même à la langue persane.

Revenant au sujet qui nous intéresse, c'est-à-dire les verbes composés, il faut bien noter que la transformation du système verbal persan s'est effectuée très progressivement. Si nous regardons les deux extrémités temporelles de l'évolution, nous remarquons qu'au départ, au neuvième siècle, les verbes simples et à préverbe étaient courants et tout procédé de création de nouveaux verbes aboutissait à de tels verbes, alors que vers la fin de cette époque, il n'y a que très peu de verbes simples et à préverbe, et le moyen largement employé pour créer des verbes est la composition.

En effet, l'évolution des verbes simples ou à préverbe vers les verbes composés a commencé dès la première époque du persan moderne: bien que les préverbes soient toujours employés, il s'observe une régression de ces verbes au profit des verbes composés à substantif et à adjectif, d'origine arabe ou persane:

(4-13) be-dâštan motevaqqef kardan ounegâh dâštan (arrêter); (arrêt (arabe) / faire // arrêt (persan) / avoir)
(4-14) bar-âmadan bâlâ raftan ou tolu' kardan
(monter, se lever (soleil)); (haut / aller // lever (arabe) / faire)
(Natlkhanlari, op. cit., p. 15)

Durant la deuxième période du persan moderne, les modifications continuent à s'exercer. C'est à cette époque que les morphèmes aspectuels mi- (présent de l'indicatif) et be- (présent du subjonctif) se spécialisent dans leurs fonctions respectives (Ibid.). Parallèlement, les verbes construits à l'aide des éléments nominaux ou adverbiaux continuent de progresser, alors que la formation avec les préverbes régresse. Ainsi, aujourd'hui la préverbation ne s'exerce plus en persan et le nombre des verbes à préverbe reste limité. Les locuteurs ne distinguent plus les préverbes du vieux perse, qu'ils considèrent comme faisant partie du lexème verbal. En revanche, les préverbes du moyen perse sont toujours reconnaissables mais sans emploi dans la formation verbale. Il est à noter que le morphème be- du subjonctif est à l'origine un préverbe locatif en moyen perse, c'est la seule exception de préverbe du moyen perse qui n'est plus reconnaissable (Lazard 1995:27).

Dans l'état actuel du persan, la composition est presque la manière exclusive de former de nouveaux verbes. Avec l'ouverture du pays sur la technologie occidentale durant les dernières décennies, un nombre élevé de mots étrangers est entré en persan; ils servent souvent d'éléments nominaux pour construire des verbes composés:

(4-15) mâšin râ avval batri-aš râ šarz konid ba'd bizahmat poliš- konid
(voiture / POST / premier / batterie-I.3sg / POST / charge / faites / ensuite / sans peine / cire-I.3sg / faites)
La voiture, chargez d'abord sa batterie et ensuite astiquez la s'il vous plaît.

Dans des exemples précédents, on observe que le mot d'origine étrangère se comporte exactement comme un mot persan et peut servir à la formation des verbes 57 . Il faut aussi dire que ce qui est vrai pour les mots des langues occidentales est encore plus vrai pour tous les mots d'origine arabe en persan, qui y sont entrés depuis le septième siècle. Aujourd'hui un locuteur persan ne considère pas le verbe so'âl kardan (mot à mot: question faire; questionner) comme un verbe à élément nominal arabe, c'est tout simplement un verbe persan.

Notes
56.

Les dénominations persanes employés par Natelkhanlari pour ces trois périodes sont respectivement: rošd o takvin, fârsiye darsi et tahavvol o tajaddod.

57.

En fait un mot d'origine étrangère entré en persan ne se distingue plus d'un mot persan, il peut même entrer dans les compositions nominales avec un élément lexique persan, comme par exemple filmbardâri (enregistrement (par un caméra)).