4.2.3. Les insuffisances de la définition sémantique

Cette définition pose beaucoup de problèmes, nous semble-t-il. Tout d'abord lorsqu'on se base sur une définition sémantique on n'a pas de critères objectifs pour poser des limites au-delà desquelles on considère la structure comme non conforme à la définition. Autrement dit le critère de sens est subjectif. Le deuxième reproche qu'on peut faire à ce type de définition c'est le fait qu'il ne s'avère fructueux que si on veut comparer deux verbes, l'un simple et l'autre composé; et même dans ce cas, il faut que la différence de comportement sémantique des deux verbes soit très importante. Prenons l'exemple du verbe xordan (manger). Ce verbe est considéré comme un verbe de sens plein, bien qu'il puisse entrer dans des compositions suivantes:

(4-16) a.qazâ xordan(nourriture / manger) manger
b.kotak xordan
(coups / manger) être battu
c.qasam xordan
(serment / manger) prêter serment
d.zamin xordan
(terre / manger) tomber (par terre).

Selon la définition sémantique traditionnelle, la première combinaison est libre (ce n'est pas une composition verbo-nominale), alors que les trois autres sont effectivement des verbes composés. La première question qui se pose à nous c'est la suivante: quel est le critère sémantique qui permet de distinguer le premier xordan en tant que verbe plein des trois autres en tant que verbes sémantiquement vides? En fait il n'y en a pas. La seule différence peut s'apprécier dans le sens de la composition toute entière: le premier xordan est accompagné par un objet interne, les trois autres ne le sont pas. Par contre tous les quatre sont effectivement accompagnés par des substantifs, et il nous semble que ce sont ces substantifs, objet interne ou pas, qui précisent le sens du verbe. Pour nous, le verbe xordan tout seul n'a pas vraiment plus de sens qu'un verbe sémantiquement vide comme kardan: lorsque nous entendons xord (la troisième personne du singulier du passé simple), nous nous basons sur le contexte ou sur la situation d'énonciation pour comprendre le sens de l'énoncé. Bien sûr, en tant que persanophone lorsque nous entendons xord le premier concept qui nous vient à l'esprit c'est effectivement "manger", mais de même quand nous entendons kard (troisième personne du singulier du passé simple) nous pensons en premier à un acte, à un travail fait par la personne en question. Donc soit le verbe kardan n'est pas si vide que ça, soit le verbe xordan n'est pas si plein que ça. Mais il nous semble que le premier concept qui nous vient à l'esprit a un rapport avec la fréquence de l'emploi des différents composés de ces verbes: de même qu'on parle plus de "manger" que de "prêter serment" ou de "tomber par terre", de même on emploie plus le verbe kardan pour signifier une action que par exemple pour dire "rendre fou" (xol kardan); c'est donc un processus mental que de donner le sens le plus courant au verbe employé seul, mais ceci n'empêche pas le verbe d'entrer dans une composition, avec un substantif (ou un adjectif ou adverbe), qui ne retient pas du tout le sens premier du verbe.