4.2.4. Les insuffisances de la définition syntaxique

Comme il a été dit plus haut, la définition syntaxique repose sur le lien plus ou moins fort entre le substantif et le verbe. Le problème c'est que la définition ne peut pas nous donner des critères pour évaluer la force de ce lien; autrement dit nous ne savons pas à partir de quel moment nous pouvons considérer les deux éléments de la composition comme étant soudés. Par là même, cette façon de procéder pose d'autres problèmes liés à l'emploi des verbes dans des contextes différents: nous avons le composé fekr kardan (mot à mot: pensée faire; penser), il est presque toujours considéré comme une composition, mais nous pouvons très bien avoir une phrase comme:

(4-17) yek fekr-e xub-i karde (ast) (un / pensée-EZ / bien-un / fait, PP (AUX))
Il a eu une bonne idée.

fekr est le noyau d'un syntagme nominal. Pour analyser de tels exemples, faut-il penser que la composition a cessé d'exister puisqu'il y a séparation des deux éléments? Ou faut-il considérer cette phrase comme un cas particulier de l'occurrence du composé? Ces questions se posent parce que la grammaire traditionnelle ne prend pas en compte le contexte dans lequel le composé est employé.

Une autre insuffisance de la grammaire classique est qu'elle ne définit pas le concept de "noyau du syntagme nominal", ce qui peut devenir problématique sachant qu'il existe effectivement très peu de verbes composés où la séparation des deux éléments n'est en aucun cas possible. Nous avons la phrase suivante:

(4-18) asb râ zin-aš kardi?
(cheval / POST / selle-I.3sg / fis)
Est-ce que tu as sellé le cheval?

Dans cette phrase, où nous avons le verbe composé zin kardan (seller), le substantif zin ne peut pas devenir le noyau d'un syntagme nominal, mais en même temps nous voyons qu'un indice peut très bien se placer entre les deux éléments du composé. Donc il doit y avoir une manière pour expliquer la différence entre les phrases (4-17) et (4-18). La grammaire classique considère les deux verbes comme composés. Nous pensons donc qu'au lieu de chercher des comportements syntaxiques pour déterminer si un verbe est oui ou non composé, il faut plutôt essayer de définir des critères qui nous permettraient de dire quel est le degré de la cohésion syntaxique entre un substantif et le verbe, et de là, nous pourrons effectuer une différence entre les verbes simples accompagnés de leur objet générique ou interne, avec un degré de cohésion très peu élevé entre le verbe et le substantif nu, et les verbes composés; et même dans ce dernier groupe nous aurons la possibilité de hiérarchiser les verbes selon leur degré de cohésion avec le substantif nu.

Un autre point qui nous semble problématique dans ce type de définition est le comportement de certains verbes composés dans différents registres de la langue. Nous pensons plus particulièrement à un verbe comme javâb dâdan (mot à mot: réponse donner; répondre). Dans la langue standard on a souvent le verbe tel quel, alors que le substantif satellite peut se désatelliser et devenir l'objet direct de la phrase dans le registre familier:

(4-19) be nâme-ye išân javâb bedahid
(à / lettre-EZ / eux / réponse / donnez)
Répondez à leur lettre.
(4-20) cerâ javâb-e man o nemidi
(pourquoi / réponse-EZ / moi / POST / tu ne donnes pas)
Pourquoi tu ne me réponds pas?

Si on se réfère à la grammaire traditionnelle, il n'y a pas d'explication satisfaisante pour comprendre la différence de ces deux phrases, au plus on dira que le substantif javâb peut dans certaines phrases être détaché du verbe, sans plus d'approfondissement.

En résumé, nous estimons que les définitions traditionnelles ne conviennent pas pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'elles procèdent à une approche purement contrastive: pour définir les verbes composés, il faut connaître leurs différences avec les verbes simples. En deuxième lieu, il nous semble qu'il doit y avoir un nombre très restreint de verbes qui pourraient être reconnus comme composés en dehors de tout contexte; c'est au contraire le contexte qui détermine souvent si un verbe est employé comme verbe simple ou comme verbe composé. C'est là le point qui n'a pas été pris en compte par les grammairiens: de même que le morphème est toujours une postposition, quelle que soit la phrase dans laquelle il est employé, de même on doit pouvoir dire qu'un tel verbe est composé quel que soit le contexte. Et il nous semble qu'avec la composition verbo-nominale un tel raisonnement ne peut pas fonctionner. C'est probablement pour cela que les quelques grammairiens qui ont entrepris de faire des listes des verbes composés sont souvent en désaccord sur l'appartenance de tel ou tel verbe à la catégorie des verbes composés. Parfois même, ils y mettent des verbes qui nous paraissent être des expressions figées, formées éventuellement à l'aide des verbes composés. Comme il a été dit plus haut, dans la liste dressée par Kh. Farshidvard (1994:23) il y a des expressions telles que pust az sar-e kesi kandan (mot à mot: peau de tête de quelqu'un enlever; punir quelqu'un sévèrement) ou encore dast ru-ye dast gozâštan (mot à mot: main sur main mettre; rester sans rien faire). Il nous semble qu'on doit considérer les verbes kandan (enlever) et gozâštan (mettre) comme des verbes simples qui font partie des expressions, et non pas comme des verbes composés: pust az sare kesi et dast ruye dast peuvent être considérés comme deux ensembles d'arguments des verbes qui les accompagnent, le tout formant des expressions figées. Nous pensons que des confusions de ce genre sont dues à une absence de définition correcte de la composition verbale dans les grammaires persanes, sans oublier que lorsque la définition des verbes composés est basée sur l'unité sémantique entre les éléments non verbaux et le verbe, on peut en effet mettre les expressions figées sous le rubrique des verbes composés.