4.3.2. Le substantif

4.3.2.1. L'origine et la nature du substantif

Le substantif qui entre dans la composition avec le verbe peut être d'origine diverse. Il peut, bien sûr, être d'origine persane:

(4-35) a.gerye kardan (pleur faire; pleurer)
b.tekân dâdan (secousse faire; secouer)

Les mots d'origine étrangère peuvent, à partir du moment où ils sont employés en persan, entrer dans la composition avec le verbe; c'est surtout le cas des mots d'origine arabe qui constituent une grande partie des substantifs des verbes composés:

(4-36) a. dars dâdan (leçon donner; enseigner)
b.tašakkor kardan (remerciement faire; remercier)
c.sohbat kardan (conversation faire; s'entretenir)

A propos de ces mots on peut se demander s'il n'y a pas un rapport entre le nombre élevé de ces constructions et l'emprunt massif des mots arabes par le persan après la conquête arabe. En effet, à cette époque le persan a emprunté beaucoup de mots arabes; étant donné que l'emprunt des verbes se fait moins facilement, il s'agit essentiellement des substantifs. La formation des verbes correspondants s'est fait de deux manières: dans de rares cas, le verbe est formé en ajoutant le morphème de l'infinitif persan au substantif, ce qui est par exemple le cas de raqs-idan (danser) ou talab-idan (demander) (bien que les verbes raqs kardan et talab kardan existent également, le premier ayant plutôt un emploi dialectal). Mais il semble que la morphologie dérivationnelle posait quelques problèmes, puisque la langue a eu recours, d'une manière presque exclusive, à la formation de verbes composés. Si on regarde les verbes composés ci-dessous (4-37), on voit le même phénomène: le persan a emprunté beaucoup de substantifs français et anglais au cours de ce siècle, les verbes correspondants ont été formés à l'aide de la composition substantif-verbe.

Par ailleurs, on voit le même phénomène en turc et en japonais: à un moment donné de leur histoire, ils ont emprunté un nombre élevé de substantifs étrangers (arabes et persans pour le turc, chinois pour le japonais). Les verbes correspondants se sont formés à l'aide de la composition (on peut donner les exemples turcs suivants: ihanet etmek (trahir), cesaret etmek (oser), nufuz etmek (pénétrer); les substantifs sont d'origine arabe).

A partir de ces données, on peut émettre l'hypothèse suivante: d'une manière générale, lorsqu'il y a un emprunt massif de substantifs étrangers de la part d'une langue, celle-ci favorise le développement des "light verbs" et de la composition pour former des verbes correspondant aux substantifs empruntés.

Comme il vient d'être dit, en persan il existe aussi des verbes dont le substantif est d'origine européenne (anglaise ou française le plus souvent):

(4-37) a.montâj kardan ( monter (un film, les pièces d'une voiture))
b.šârj kardan (charger (la batterie d'une voiture, etc.))
c.pâs dâdan (passer le ballon (au football))
d.cekâp kardan (faire une visite médicale complète)
e.šut kardan (frapper (au football))
f.tormoz kardan (freiner) 61

Les onomatopées peuvent, à leur tour, servir de substantif pour la formation des verbes composés:

(4-38) a. celep celep kardan (faire des bruits dans l'eau)
b. melec melec kardan (faire des bruits avec la bouche en mangeant)
c. taraq turuq kardan (claquer, craquer)

Pour parler des sons que les animaux émettent, on utilise aussi des verbes composés:

(4-39) a.miyo miyo kardan (miauler)
b.vâq vâq / 'u 'u kardan (aboyer)

On peut aussi employer des mots de registre familier pour former des verbes composés:

(4-40) a.ver zadan (bavarder)
b.verrâji kardan (bavarder)
c.se kardan (faire une gaffe)

Du point de vue morphologique, le substantif peut être composé, bien que les substantifs simples aient une fréquence plus élevée d'apparition. Ainsi on peut avoir:

(4-41) a. asbâb-keš-i kardan (déménagement faire; déménager)
b.pors-o-ju kardan (demande-et-cherche faire; être en quête de)

En outre, le substantif peut être lui-même un déverbal. Ainsi, les verbes anjâmidan (s'achever) et farâmušidan (oublier), le premier verbe n'étant employé que dans la langue littéraire et le deuxième étant totalement abandonné, ont les radicaux présents anjâm- et farâmuš- respectivement 62 ; dans la langue standard et familière ces radicaux servent de substantifs pour former les verbes composés anjâm dâdan/šodan (fin donner/devenir; finir/s'achever) et farâmuš kardan (oublie faire; oublier). Un substantif composé comme pors-o-ju, est lui-même formé de deux radicaux verbaux présents: pors- est celui du verbe porsidan (demander), ju- celui du verbe jostan (trouver). On peut aussi avoir un substantif composé de deux radicaux présent et passé du même verbe, ce substantif peut ensuite devenir la partie nominale du verbe composé. C'est par exemple le cas de goft-o-gu kardan (s'entretenir), où goft- et gu- sont respectivement le radical passé et le radical présent du verbe goftan (dire).

Dans sa thèse, D. Barjasteh donne une autre catégorie des substantifs qui peuvent former des verbes composés. Il s'agit des substantifs qui sont formés à partir des radicaux verbaux par la suffixation. Nous en donnons quelques exemples:

  1. Le verbe kušidan (essayer) a le radical présent kuš-, qui prend le suffixe -eš pour former le substantif kuš-eš (essai), ce substantif entre dans la structure du verbe composé kušeš kardan (essai faire; essayer).
  2. Le verbe nâlidan (gémir) donne le radical présent nâl- et le substantif nâl-e (gémissement) qui, à son tour, donne le verbe nâle kardan (gémissement faire; gémir).
  3. Le verbe rândan (conduire (une voiture)) a le radical présent rân-; celui-ci donne un nom d'agent avec le suffixe -ande: rân-ande (conducteur). Le tout prend un deuxième suffixe nominal qui en fait un nom abstrait: rân-ande-gi. C'est ce dernier substantif qui peut former un verbe composé: rânandegi kardan (état de conduire faire; conduire) (Barjasteh 1983, pp. 103, 123 et 171).
Notes
61.

Le mot tormoz existe à la fois en russe et en yiddish, mais nous ne savons pas quelle est son origine. Néanmoins, étant donné la proximité géographique de la Russie, nous pensons que le mot tormoz doit nous venir, logiquement, du russe.

62.

Abolghasemi 1994 b:31 et 65.