5.3. Les propriétés de quelques verbes composés du type zin kardan

Un troisième groupe de verbes composés est celui qui, à la différence des deux autres groupes que nous venons de voir, n'est ni une séquence objet générique-verbe ni séparable. Pour illustrer ce groupe, nous avons choisi deux verbes: zin kardan (mot à mot: selle faire; seller) et qofl kardan (mot à mot: verrou faire; verrouiller). Les deux nominaux qui entrent dans la composition avec le verbe kardan sont des substantifs à part entière de la langue persane qui peuvent apparaître sans être accompagnés de verbe, et prendre des déterminants (et nous verrons l'importance de ce point en étudiant le groupe suivant des verbes composés):

(5-122) zin-e asb / qofl-e dar
(selle-EZ / cheval / verrou-EZ / porte)
La selle du cheval / Le verrou de la porte.

Les verbes composés issus de la composition de ces substantifs et du verbe kardan sont employés souvent dans des phrases comme les suivantes où l'ensemble objet-verbe a un objet suivi de :

(5-123) avval bâyad asb râ zin kard
(d'abord / il faut / cheval / POST / selle / INF.AP)
Il faut d'abord seller le cheval.
(5-124) dar-e madrese râ qofl karde budand
(porte-EZ / école / POST / verrou / PP / AUX)
Ils avaient verrouillé la porte de l'école.

En d'autres termes, bien que le verbe employé soit transitif et que le substantif soit, en théorie, apte à devenir son objet, ce n'est pas le cas:

(5-125) *avval bâyad zinkard
(d'abord / il faut / selle / POST / INF.AP)
Il faut d'abord mettre la selle 76 .
(5-126) *boland šo qoflbokon
(debout / deviens (lève-toi) / verrou / POST / fais)
Lève-toi pour aller verrouiller (la porte).

Cette propriété, à savoir le fait que le substantif ne puisse pas être l'objet de la phrase, peut influencer sur le comportement du substantif dans la phrase en ce sens que certaines opérations syntaxiques propres à l'objet ne seront pas possibles pour le substantif. Néanmoins, ceci ne veut pas dire a priori que le substantif ne se comporte pas comme un constituant nominal autonome. Voyons maintenant si c'est effectivement le cas en examinant la détermination de ces substantifs:

(5-127) *ali asb râ (yek) zin-i kard va râh oftâd
(Ali / cheval / POST / (un) / selle-un / il fit / et / chemin / il tomba (il partit))
(5-128) in asb râ yek zin-i bekonid!
(ce / cheval / POST / un / selle-un / faites)
Mais sellez donc ce cheval! 77
(5-129) *cerâ dar râ (yek) qofl-i nakardi?
(pourquoi / porte / POST / (un) / verrou-un / tu ne fis pas)
Pourquoi tu n'as pas verrouillé la porte?
(5-130) *ali asb(-hâ) zin-hâ mikonad
(Ali / cheval (-pl) / selle-pl / il fait)
(5-131) *ali dar(-hâ) qofl-hâ karde ast
(Ali / porte (-pl) / verrou-hâ / PP / il est)v
(5-132) *cerâ zin-e man râ kardi?
(pourquoi / selle-EZ / moi / POST / tu fis)
(5-133) *ali qofl-e xodaš râ kard
(Ali / verrou-EZ / soi / POST / il fit)
(5-134)ali asb râ zin-aš kard
(5-134) (Ali / cheval / POST / selle-I.3sg / il fit)
Ali a sellé le cheval
(5-135) ali dar râ qofl-aš kard
(Ali / porte / POST / verrou-I.3sg / il fit)
Ali a verrouillé la porte.
(5-136) *man asb-am râ zin-e xubi kardam
(moi / cheval-I.1sg / POST / selle-EZ / bon / je fis)
(5-137) *ali dar râ qofl-e bozorgi karde (ast)
(Ali / porte / POST / verrou-EZ / grand / PP / AUX (il a fait))
(5-138) *asb râ in zin bokon
(cheval / POST / ce / selle / fais)
(5-139) *dar râ ân qofl mikonam
(porte / POST / ce / verrou / je fais)
(5-140) *zin-e asb râ kardan
(selle-EZ / cheval / POST / faire)
(5-141) *qofl-e dar râ kardan
(verrou-EZ / porte / POST / faire)

Comme ces phrases montrent lorsque zin et qofl sont accompagnés du verbe kardan ils ne peuvent pas fonctionner comme la tête d'un syntagme nominal, sauf dans un cas plutôt exceptionnel où zin peut être déterminé par l'article indéfini (phrase (5-128)). Par ailleurs, nous avons donné deux phrases où les substantifs sont accompagnés d'indice (phrases (5-134), (5-135)); il faut remarquer que du point de vue sémantique, il s'agit des indices qui renvoient aux objets des deux phrases, à savoir asb et dar. Qu'en est-il des autres opérations syntaxiques? C'est ce que nous allons voir maintenant:

La relativisation: en effet cette opération est possible essentiellement dans la langue parlée:

(5-142) zin-i ke ali bokone fâyde nadâre
(selle-REL / que / Ali / (qu') il fasse / utilité / il n'a pas)
Si c'est Ali qui selle ça n'a aucune utilité.
(5-143) qofl-i ke man bokonam xod be xod vâz miše
(verrou-REL / que / moi / (que) je fasse / soi / à / soi / ouvert / il devient)
Si c'est moi qui verrouille ça va s'ouvrir tout seul.

La nominalisation de l'ensemble substantif-verbe :

(5-144) zin kardan-e asb xeyli saxt ast
(selle / faire-EZ / cheval / très / difficile / il est)
Seller un cheval c'est difficile.
(5-145) qofl kardan-e dar-e xâne jelo-ye dozd râ migirand
(avec / verrou / faire-EZ / porte-EZ / maison / devant-EZ / voleur / POST / ils prennent)
C'est en verrouillant la porte de la maison qu'on arrête les voleurs.

La nominalisation en inversant l'ordre substantif-verbe:

(5-146) *kardan-e zin-e asb saxt ast
(même sens)
(5-147) *bâ kardan-e qofl-e dar-e xâne jelo-ye dozd râ migirand
(même sens)

Nous observons qu'ici c'est uniquement le premier type de nominalisation qui peut avoir lieu. Si nous comparons ceci avec le comportement de deux autres groupes de verbes que nous avons étudiés, nous constatons qu'effectivement sur ce point ces verbes sont très différents des autres.

La passivation:

(5-148) *asb zin karde šod
(cheval / selle / PP / AUX)
Le cheval a été sellé.
(5-149) *dar qofl karde šod
(porte / verrou / PP / AUX)
La porte a été verrouillée.

Les phrases précédentes ne sont pas acceptables; mais à côté de celles-ci, il existe d'autres phrases qui sont considérées par la grammaire classique comme des passives, où c'est uniquement le lexème verbal qui change (cf. 3.5.3; nous y reviendrons plus loin):

(5-150) asb zin šod
(cheval / selle / il devint)
Le cheval a été sellé.
(5-151)dar qofl šod
(5-151) (porte / verrou / il devint)
La porte a été verrouillée.

La thématisation: cette opération n'est possible que dans la langue parlée:

(5-152) zin (o) baladam bokonam
(selle / (POST) / je sais / (que) je fasse)
Seller, je sais le faire.
(5-153) qofl (o) hanuz nakarde
(verrou / (POST) / encore / il n'a pas fait)
Verrouiller, il ne l'a pas encore fait.

La transitivité: comme il a été dit plus haut, le substantif accompagnant le verbe kardan ne peut en aucun cas devenir l'objet de la phrase. De ce fait, nous ne pouvons avoir que des phrases où un deuxième substantif est en fonction d'objet:

(5-154) šâyad asbhâ râ zin karde bâšand
(peut-être / les chevaux / POST / selle / PP / (qu')ils fassent)
Ils ont peut-être sellé les chevaux.
(5-155) *šâyad zin râ karde bâšand
(peut-être / selle / POST / PP / (qu')ils fassent)
(5-156) dar râ qofl kon!
(porte / POST / verrou / fais)
Verrouille la porte!
(5-157) *in qofl râ bokon!
(ce / verrou / POST / fais)

Résumons: les substantifs zin et qofl existent dans la langue ailleurs qu'en compagnie du verbe kardan. Lorsqu'ils sont seuls, ils se comportent comme tout autre substantif; à partir du moment où ils entrent dans la relation de composition avec le verbe kardan, leur autonomie syntaxique se réduit considérablement. En effet, il n'y a que quelques opérations syntaxiques, parmi toutes celles qui sont théoriquement possibles, qui peuvent être effectuées sur de tels substantifs.

Notes
76.

L'impossibilité de cette phrase n'est due qu'au caractère de la séquence zin kardan; nous pouvons avoir une phrase telle que:

avval bâyad zin râ gozâšt

Il faut d'abord mettre la selle.

Nous voyons qu'avec un autre verbe, qui n'a pas de lien particulier avec le substantif, la phrase est acceptable.

77.

Nous considérons cette phrase comme acceptable, mais il faut dire qu'il est rare d'avoir un contexte dans lequel cette phrase soit acceptable.