5.4. Les propriétés de quelques verbes composés du type gul zadan

Nous allons voir ici un autre groupe de verbes composés constitués d'un substantif qui n'existe qu'en association avec un verbe. En d'autres termes, le substantif de tels verbes composés ne peut être employé sans le verbe. Il s'agit d'un petit nombre de verbes composés du persan, mais du fait même que l'élément nominal n'a d'existence qu'en composition avec le verbe nous pose des difficultés pour déterminer la nature exacte de cet élément. C'est pour cette raison que G. Lazard lui donne le nom d'"acolyte"; le verbe qui l'accompagne est appelé l'"effecteur" 78 . Par ailleurs, la relation entre l'élément nominal et le verbe est telle qu'il est souvent impossible de faire subir des opérations syntaxiques à l'élément nominal et d'observer son comportement pour pourvoir déterminer sa nature. De ce fait, nous n'avons choisi qu'un seul verbe composé pour illustrer ce groupe, dont nous sommes sûre, il s'agit de gul zadan (mot à mot: tromperie frapper; tromper) 79 .

le verbe gul zadan appartient au registre de la langue parlée (son synonyme de la langue standard est farib dâdan). Ce verbe est employé d'habitude dans des phrases telles que:

(5-158) ali râ gul(-eš) zadand
(Ali / POST / tromperie(-I.3sg) / ils frappèrent)
Ils ont trompé Ali/Ali, ils l'ont trompé.

Comme il a été dit plus haut, la relation substantif-verbe est tellement étroite qu'il est difficile de faire subir des opérations syntaxiques au substantif. Néanmoins il en existe quelques uns. Etant donné la longueur des phrases où aucune opération n'est possible, nous ne donnons que les quelques phrases où le substantif peut être séparé du verbe.

- La relativisation:

(5-159) be ali yek gul-i zadan ke sâlhâ yâd-eš mimune 80
(à / Ali / un / tromperie-REL / ils frappèrent / que / années / mémoire-I.3sg / il reste)
Ils ont trompé Ali de telle façon qu'il s'en souviendra des années.
(5-160) ali ro gul-i be-heš zadan ke tâ 'omr dâre yâd-eš nemire
(Ali / POST / tromperie-REL / à-I.3sg / ils frappèrent / que / jusqu'à / vie / il a / mémoire-I.3sg / il ne va pas)
Ali, ils l'ont trompé de telle manière qu'il ne l'oubliera pas jusqu'à la fin de sa vie.

La nominalisation:

(5-161) gul zadan-e mardom ham šod kâr?
(tromperie / frapper-EZ / gens / aussi / il devint / travail)
Tromper les gens n'amène à rien.

La passivation:

(5-162) *ali gul zade šod
(Ali / tromperie / PP / il devint)
(5-163) ali gul xord
(Ali / tromperie / il mangea)
Ali a été trompé.
(5-164) Ali ce gul-i xord!
(Ali / quel / tromperie-un / il mangea)
Comme Ali a été trompé!

La thématisation:

(5-165) gul-am ke nemitune bezane
(tromperie-I.1sg / que / il ne peut pas / (qu')il frappe)
Il ne peut pas me tromper.

- L'adjonction d'adverbes:

(5-166) ali râ gul-e xubi zadand
(Ali / POST / tromperie-EZ / bien / ils frappèrent)
Ali, ils l'ont bien trompé.

L'indice:

(5-167) ali râ gul-eš zadam
(Ali / POST / tromperie-I.3sg / je frappai)
Ali, je l'ai trompé.

Si nous comparons les phrases ci-dessus avec celles que nous avons vues pour les verbes zin/qofl kardan nous voyons que ces deux groupes sont très proches syntaxiquement: la détermination du substantif est impossible sauf en ce qui concerne les articles indéfinis yek et -i, et les opérations syntaxiques donnant des phrases acceptables sont les mêmes pour les deux groupes de verbes.

Ces deux derniers groupes de verbes composés ont quelques caractères en commun:

  1. Le substantif ne peut pas avoir de fonction syntaxique par rapport au verbe; il n'est pas un argument de celui-ci: il s'agit d'un substantif satellite.
  2. Si le verbe est transitif, l'ensemble substantif-verbe est souvent transitif à son tour. Le seul objet possible c'est celui qui fonctionne comme objet de l'ensemble.
  3. Du point de vue sémantique, l'unité des deux membres du composé ne laisse aucun doute. C'est toujours le substantif qui détermine le sens du composé.
  4. On peut trouver ce type de verbe en turc, il s'agit de certains composés formés à l'aide du verbe etmek (faire).
  5. Il nous semble que les verbes du type zin kardan soient les plus nombreux en persan. D'une part, la plupart des verbes composés dont le substantif est d'origine arabe appartient à ce groupe, comme hes kardan (mot à mot: sens faire; sentir), hesâb kardan (mot à mot: calcul faire; calculer), exrâj kardan (mot à mot: expulsion faire; expulser), sabr kardan (mot à mot: attente faire; attendre, patienter), ta'ajob kardan (mot à mot: étonnement faire; être surpris), etc.. D'autre part, il y a des composés dont le substantif est d'origine persane: dân dâdan (mot à mot: grain donner; donner du grain (aux oiseaux)), âtaš zadan (mot à mot: feu frapper; incendier), nešân dâdan (mot à mot: singe donner; montrer), dust dâštan (mot à mot: ami avoir; aimer), šâne kardan (mot à mot: peigne faire; peigner), etc.

Notes
78.

Termes proposés durant la conférence de G. Lazard dans le cadre des réunions du groupe METAGRAM, à l'université de Stendhal, Grenoble 3, le 29.04.1997.

79.

Au départ, nous avions choisi trois verbes: gul zadan, padid âvardan (créer) et montašer kardan (publier). Mais nous avons remarqué que le mot padid est traduit comme "visible, apparent" dans le dictionnaire persan-français de G. Lazard (1991:73), ce qui en fait un adjectif synonyme de padidâr (même sens), qui est un adjectif, donc nous l'avons éliminé de notre liste. Par ailleurs, le mot montašer est d'origine arabe, il vient de la racine našr. En persan, les mots arabes qui ont les mêmes propriétés formelles que montašer sont presque toujours employés comme des adjectifs: bast > monbaset (étendu dilaté), le substantif correspondant est enbesât; nasb > montaseb (lié, attribué), le substantif correspondant est entesâb; il y a aussi l'adjectif montazer (attendant) qui est fréquemment employé, le substantif correspondant à cet adjectif est entezâr, etc. Là encore nous avons décidé de ne pas traiter montašer kardan comme un verbe composé à substantif.

80.

Dans la langue parlée, le -d à la fin du verbe pluriel ne se prononce pas, ce qui fait que le pluriel du troisième personne, qui est zadand, est prononcé comme l'infinitif du verbe, c'est-à-dire zadan.