6.1.3.1. Le rôle du verbe šodan dans les constructions passives selon la grammaire traditionnelle persane

Avant d'aller plus loin, il est peut-être utile de jeter un coup d'œil sur ce qui a été déjà dit sur la constructions passives ou inchoative ou encore intransitive des verbes composés dans la grammaire traditionnelle. Selon Windfuhr (op. cit., p. 117), l'alternance kardan/šodan a très tôt attiré l'attention des linguistes occidentaux. Angelus (1684) distingue le verbe šodan en tant qu'auxiliaire du passif du verbe šodan en tant que lexème verbal d'un verbe composé. De Dieu (1639) pense qu'il existe deux ensembles de verbes participant à la construction des verbes composés: un ensemble forme des verbes actifs et l'autre des verbes passifs. Appartiennent au premier ensemble les verbes tels que kardan, âvardan (amener), dâštan (avoir), sâxtan (construire) etc., alors que šodan, tout comme gardidan (tourner), yâftan (trouver) etc. constituent le deuxième ensemble. Plus près de nous, Telegdi (1951) distingue deux fonctions pour le couple kardan/šodan: d'une part une fonction passive et d'autre part une fonction de formation des verbes composés. Par ailleurs, il pense que ces deux fonctions sont incompatibles. Pour G. Lazard, un certain nombre de verbes qui peuvent remplacer d'autres dans une composition donnent des passifs. Par exemple, le verbe šodan "... forme des verbes intransitifs qui servent normalement de passifs aux transitifs formés de kardan (ou dâštan) ..." (1957: p. 290).

Dans tous les autres documents linguistiques que nous avons consultés, nous n'avons vu qu'un seul cas où l'auteur traite les verbes composés avec kardan ayant un équivalent avec šodan comme des causatifs. Il s'agit de Zamanian (1988:99):

‘"Les verbes composés intransitifs qui se forment à partir d'un substantif et un des verbes šodan, gaštan (tourner) et gardidan (tourner) ont un causatif qui se forme par le remplacement des verbes déjà cités par l'un des verbes suivants: kardan, farmudan (ordonner), sâxtan (construire) et nemudan (montrer).". ’

Partout ailleurs, dans d'autres documents, soit on parle de šodan comme un verbe qui rend intransitif, soit on n'en parle pas du tout (Meshkotod Dini 1987, Bateni 1991, Marzbanrad 1991, Shariat 1992, Gholamalizade 1995). Parfois le fait de la double fonction du verbe šodan, son rôle dans les constructions passives et sa fonction dans les structures que nous avons appelées jusqu'ici inchoatives, crée une sorte de confusion parmi certains grammairiens de la langue persane. L'exemple le plus clair nous vient de Natelkhanlari (1994). En ce qui concerne les verbes composés il dit:

‘"[...] mais tous les verbes composés qui se conjuguent avec kardan et qui sont transitifs ont une forme intransitive qui se fait à l'aide du verbe šodan [...]" (p. 61). ’

Quelques pages plus loin dans le même livre il dit:

‘"Concernant les verbes composés, surtout ceux qui sont conjugués avec kardan [...] ils forment leur passif par l'élimination de kardan ou son équivalent et en le remplaçant par le verbe šodan [...]" (p. 133). ’

Autrement dit, pour qualifier les verbes composés ayant une alternance kardan/šodan il hésite entre l'appellation passive et intransitive.

Pour résumer, nous pouvons dire que la commutation des lexèmes verbaux dans les couples tels que kardan/šodan pose des problèmes sérieux pour les linguistes. Il semblerait, à premier vue, que cette commutation conduit parfois à la formation des verbes composés passifs, mais pas toujours. Ce point de vue pose un problème dans la mesure où les facteurs qui interviennent d'une part pour donner des passifs et d'autre part pour donner des verbes que certains linguistes ont appelés des inchoatifs n'ont pas été dégagés. Autrement dit nous ne saurons ni pourquoi, lorsque šodan remplace kardan, nous n'avons pas toujours un passif, ni comment interpréter exactement le verbe composé "non passif" qui en résulte.

Il nous semble que la première étape pour essayer de résoudre ce problème est de tenter de délimiter, tant bien que mal, la catégorie des verbes composés. Quand nous avons étudié ces derniers, nous avons vu que le passage du verbe simple au verbe composé ne se fait pas d'une manière nette et précise, et que nous avons affaire à un continuum qui passe par des verbes accompagnés de leur objet générique; la délimitation de la catégorie des verbes composés dans ces conditions est impossible. Pourtant, puisque nous avons distingué différents types de verbes composés, nous pensons pouvoir étudier les différents groupes séparément. Si nous tenons de faire cette distinction c'est essentiellement pour deux raisons. En premier lieu, nous avons constaté que les linguistes, surtout ceux qui travaillent dans le cadre de la grammaire persane, ne faisant pas cette distinction se trouvent devant des structures très différentes qu'ils doivent expliquer par une seule et même règle, ce qui conduit à des incohérences. En deuxième lieu, nous pensons que malgré les apparences superficielles, les séquences objet générique/verbe et les autres verbes composés sont différents du point de vue de la formation des constructions passives; le continuum qui conduit de l'un à l'autre passe par des constructions appelées les verbes composés séparables, eux-mêmes pas très homogènes, qui présentent des propriétés des deux extrémités du continuum à la fois. Ayant plusieurs groupes à caractéristiques syntaxiques différentes, il faut considérer chaque groupe dans son ensemble mais pas avec d'autres groupes pour voir les constructions passives correspondantes à chacun d'entre eux. En même temps, comme nous avons vu que les linguistes pensent qu'il existe deux types de constructions passives en persan, nous avons décidé de voir d'abord la construction traditionnellement appelée passive, c'est-à-dire le passif périphrastique; une fois cette construction étudiée, nous pourrons nous poser le problème des constructions ayant des couples de verbes qui commutent.