6.1.3.2. Le passif périphrastique

En ce qui concerne les verbes accompagnés de leurs objets génériques, ce qui mérite d'être expliqué ici c'est le fait que l'objet générique ne peut pas prendre la position du sujet de la phrase passive. En effet, une phrase comme:

(6-31) qazâ xorde mišavad
(nourriture / PP / AUX PASS)
La nourriture est mangée.

qui pourrait être le passif de:

(6-32) ali qazâ mixorad
(Ali / nourriture / il mange)
Ali mange de la nourriture.

nous semble être plutôt le passif d'une phrase où l'objet est défini, c'est-à-dire la phrase:

(6-33) ali qazâ râ mixorad
(Ali / nourriture / POST / il mange)
Ali mange la nourriture.

En d'autres termes, il nous semble que l'objet générique ne peut pas fonctionner comme le sujet de la phrase passive. Néanmoins, nous remarquons que la phrase passive correspondante, même si l'objet est compris comme étant défini, est formée à l'aide de l'auxiliaire šodan et du participe passé du verbe principal.

Le groupe des verbes composés du type javâb dâdan (répondre), appelé aussi les verbes composés séparables est, comme nous l'avons vu, un groupe hétérogène. Le seul point commun des verbes de ce groupe c'est la possibilité qu'a l'élément substantival d'accepter des déterminants et devenir défini. En revanche, en ce qui concerne le nombre et la nature des déterminants que peut prendre le substantif, il existe des différences d'un verbe composé à un autre. Le passif de ces verbes n'échappe pas à cette hétérogénéité. Le verbe javâb dâdan lui-même forme son passif à l'aide du participe passé et l'auxiliaire šodan:

(6-34) az taraf-e edâre-ye post be nâme-ye mâ javâb dâde šod
(de / direction-EZ / bureau-EZ / poste / à / lettre-EZ / nous / réponse / PP / AUX PASS)
La réponse nous a été donnée de la part du bureau de poste.

Nous avons classé cette phrase comme passive, mais il est intéressant de savoir que la traduction française la plus proche du sens persan serait une phrase impersonnelle: "Il nous a été répondu par le bureau de poste".

Cette observation amène une question: peut-on considérer la phrase précédente, ayant un objet générique dans son équivalent actif, comme un impersonnel? Notre réponse est négative. En effet nous pensons pour qu'il y ait impersonnel, il faut une composition entre l'objet et le verbe, de telle sorte que le substantif ne puisse plus être considéré un élément autonome de la phrase, mais une partie du verbe. La coalescence du substantif des verbes composés séparables et du verbe est loin d'être suffisamment grande pour nous permettre de considérer le substantif comme faisant partie du verbe. C'est pour cette raison que nous pensons que notre intuition de persanophone est juste lorsque nous ne voyons pas ces phrases comme impersonnelles. Le fait que la traduction française la plus proche soit une impersonnelle n'est, à notre avis, pas pertinent dans ce cas.

Ce même groupe comporte d'autres verbes composés, dont kâr kardan (travailler). Celui-ci ne peut pas avoir un passif:

(6-35) *(in) kâr karde šod
((ce) / travail / PP / AUX PASS)
(Ce) Le travail a été fait.

L'impossibilité de ce passif est liée, entre autres, au fait que le verbe kardan (faire) ne forme pas (ou plus) son passif à l'aide d'un participe passé (cf. 6.1.1). Il nous semble que ceci ne soit pas la seule raison, parce que la phrase suivante, où le participe a été éliminé, ne nous paraît pas acceptable non plus:

(6-36) *in kâr šod
Ce travail a été fait.

Donc ce verbe ne peut pas avoir de passif. Ce qui est vrai pour ces deux verbes qu'on vient de voir l'est aussi pour tous les verbes composés de ce groupe: certains ont une construction passive, d'autres n'en ont pas. En d'autres termes, partant du fait que le substantif est séparable du verbe, donc autonome, nous ne pouvons pas toujours arriver à la conclusion qu'il est apte à devenir le sujet de la phrase passive. Cette particularité nous semble importante parce qu'à notre avis, elle traduit un lien plus fort entre le substantif et le verbe par rapport à celui existant entre les deux éléments du verbe javâb dâdan (répondre). Bien qu'un substantif tel que kâr puisse être déterminé en tant qu'objet de la phrase, il ne peut pas fonctionner comme le sujet de la phrase passive, et de ce fait il montre une partie des propriétés d'un substantif satellite. Nous pouvons observer un autre point: le verbe kardan est transitif, même lorsqu'il est avec le substantif kâr (ce dernier peut être l'objet de la phrase); l'ensemble constitué par le substantif et le verbe n'est plus transitif: le verbe kâr kardan ne peut pas avoir d'objet. A partir de là, nous pouvons conclure qu'effectivement le substantif kâr montre suffisamment d'autonomie pour remplir la valence objet du verbe, et en même temps il est satellisé à tel point qu'il ne peut pas avoir toutes les propriétés d'un constituant objet.

Le troisième groupe des verbes composés que nous avons distingué c'est celui qui comporte des verbes du type zin kardan (seller). Ce groupe n'a pas de passif du type "participe passé + auxiliaire".

En ce qui concerne les verbes du type zin kardan, même lorsqu'il y a une structure ayant un sens passif, ce n'est pas le substantif coalescent qui devient le sujet de la phrase passive, mais l'objet déterminé. En d'autres termes, la phrase

(6-37) ali asb râ zin kard
(Ali / cheval / POST / selle / il fit)
Ali a sellé le cheval.

c'est tout naturellement le substantif asb (cheval) qui sera le sujet passif; le substantif zin (selle) ne peut en aucun cas prendre la position du sujet passif. De même:

(6-38) ali dar râ qofl kard
(Ali / porte / POST / verrou / il fit)
Ali a verrouillé la porte.

c'est toujours dar (porte) qui sera le sujet du passif. La raison nous paraît évident: d'une part la coalescence entre le verbe et le substantif est telle que ce dernier est un satellite du verbe, ce qui veut dire qu'il n'a pas d'autonomie syntaxique (ou plutôt son autonomie est limitée à accepter quelques morphèmes verbaux), ce qui l'empêche d'occuper la position du sujet passif. Par ailleurs, l'ensemble objet-verbe constitue un verbe composé transitif, c'est-à-dire que nous avons un objet autre que le substantif satellite, c'est cet objet qui sera apte à devenir le sujet du passif:

(6-39) asb zin šod
(cheval / selle / il devint)
Le cheval a été sellé.
(6-40) dar qofl šod
(porte / verrou / il devint)
La porte a été verrouillée.

Nous remarquons que les phrases précédentes n'ont pas la morphologie des autres constructions passives que nous avons vues. C'est un sujet sur lequel nous reviendrons plus longuement plus loin.

Si nous comparons ces verbes composés avec les verbes tels que kâr kardan (travailler), nous trouvons des indices qui nous montrent que dans le cas présent, le lien entre les deux éléments du verbe est encore plus fort. Le verbe kardan, pris seul, est toujours transitif. Lorsqu'il a le substantif zin comme satellite, l'ensemble reste transitif, ce qui veut dire que le substantif n'occupe en aucun cas la valence objet du verbe. Par ailleurs, zin ne peut pas être le sujet de la phrase passive non plus; ce fait va dans le même sens que le précédent: il est très fortement satellisé. Nous pensons que dans ce cas, l'ensemble substantif-verbe fonctionne, du moins du point de vue syntaxique, comme un constituant unique.