1.1 Les articles nécrologiques.

1.1.1 Au niveau régional : un consensus d'Union sacrée.

La presse régionale, toutes tendances confondues, rend un hommage appuyé à l'archevêque défunt. Si l'on retrouve, d'un article à l'autre 30 , les banales généralités de circonstances, les points de vue particuliers dessinent cependant des esquisses assez différentes de la personnalité de Mgr Mignot.

L'Express du Midi, journal de la droite conservatrice, brosse un portrait qui vise à l'édification. L'article ne nous laisse rien ignorer des derniers jours et des dernières heures de l'archevêque qui s'est éteint - signe évident de la Providence - le lundi de la Passion. Suit alors une rapide biographie qui évoque la "bonté paternelle", la "piété angélique", le "goût profond des plus hautes spéculations de l'esprit", "l'amour des travaux intellectuels qui exigent la recherche de la vérité dans le silence", "l'âme calme et soucieuse d'ordre". Bref un portrait de convention sans grand relief. L'auteur de l'article dévoile innocemment la raison de la bienveillance du journal quand, parmi quelques traits qualifiés d'inoubliables, il cite en premier le fait que, candidat à l'Académie française, Mgr Mignot s'était écarté devant "le vénéré cardinal de Cabrières" dont les préférences politiques, nul ne l'ignorait, se trouvaient être celles défendues par l'Express.

C'est un autre personnage que présente le Journal du Tarn 31 à ses lecteurs. D'abord parce qu'il donne à la disparition de l'archevêque une dimension plus large. Celle-ci atteint non seulement des fidèles catholiques, mais encore "ceux des frères séparés et des étrangers à l'Église sur lesquels ce prélat [...] continuait d'exercer, par le prestige de son caractère, de son intelligence et de sa bonté, une autorité morale reconnue et acceptée de tous". Ensuite parce qu'il insiste sur l'extrême attention que Mgr Mignot portait aux problèmes de son temps. "Tous les problèmes de la société et de l'esprit se résolvaient dans cette intelligence merveilleusement lucide, animée du souffle de l'esprit". Enfin parce qu'il en appelle à la postérité qui seule permettra de mettre "à son plan et dans sa lumière" la grande figure de l'archevêque - "une lumière de l'Église, une des gloires du clergé de France" - et de se rendre compte de ce que fut "Mgr Mignot, son esprit, son œuvre, son influence sur la pensée religieuse et l'action chrétienne dans le monde".

Dans la Croix du Tarn, l'abbé Louis de Lacger, professeur d'histoire ecclésiastique au grand séminaire d'Albi, inaugure sous le titre : "L'apostolat intellectuel de Mgr Mignot" la longue série des textes de "défense et illustration" qu'il va consacrer à la mémoire de l'archevêque et dont nous allons bientôt retrouver les plus importants. Dès cet article l'idée centrale est en place : "Il ne combattit pas précisément comme exégète [...] il s'est affirmé surtout philosophe, théologien, apologiste" et son prestige lui a permis d'être écouté, sinon toujours entendu, des milieux de la science et de la politique.

Image pieuse, image progressiste, image intellectuelle, trois images qui nous avertissent de la complexité d'un personnage capable de nourrir des mémoires assez différentes, mais non pas - du moins à première vue - contradictoires. La difficulté grandit à la lecture de la très républicaine et anticléricale Dépêche de Toulouse :

‘C'est certainement l'une des plus belles figures de l'épiscopat français qui disparaît et l'un des archevêques les plus érudits et les plus sympathiques. Fort cultivé, foncièrement libéral, très accessible aux humbles et très charitable, Mgr Mignot se réclamait par surcroît d'un ardent patriotisme et d'un esprit les plus conciliants. [...] C'est pourquoi, faisant à cette heure abstraction de tout ce qui peut nous diviser, nous estimons devoir en toute justice rendre hommage aux qualités d'esprit et de cœur d'un prélat dont la modestie autant que la valeur morale étaient appréciées de tous les partis. ’

Même s'il faut faire la part des circonstances et de la nécessité de sacrifier aux impératifs de l'Union sacrée, cet hommage rendu au libéralisme et à l'esprit de conciliation de Mgr Mignot, venant du camp d'en face, rajoute une facette beaucoup moins conventionnelle que les précédentes et nous avertit que l'archevêque occupait une place particulière au sein de l'épiscopat français.

Des différents portraits brossés par la presse régionale, se dégage donc une personnalité originale : celle d'un évêque érudit, soucieux de développer une apologétique adaptée aux problèmes de son temps, ouvert au dialogue avec tous les hommes de bonne volonté qu'ils fussent ou non croyants. Certes, tout ceci n'est pas banal, mais ne laisse pas soupçonner que la mémoire de cet évêque puisse poser des problèmes réellement embarrassants à l'Église. C'est une toute autre vision que l'on a de Paris.

Notes
30.

Ils sont presque tous datés du 24 mars.

31.

Imprimé par l'Imprimerie coopérative du Sud-Ouest fondée en 1902, dans la mouvance sillonniste, ce journal est alors dirigé par Jules Sablayrolles.