Tout autre est l'approche de l'abbé Rivière qui écrit après les confidences faites par Loisy en 1927 et qui entend, comme le remarque justement E. Poulat, "justifier la ligne adoptée par Mgr Batiffol" et répondre à un problème bien plus grave que celui de la simple imprudence, celui de l'approbation de L'Évangile et l'Église. L'information est encore donnée au conditionnel 78 , mais l'abbé Rivière qui ne peut ignorer qu'elle a été confirmée par Loisy lui-même à l'abbé de Lacger dès mai 1918 79 , entend montrer que quand bien même cela serait, il y a une explication acceptable pour sauver l'orthodoxie de l'archevêque. La ligne de défense qu'il adopte va être à peu de choses près celle qui sera désormais "canonique" et sera longuement développé par l'abbé de Lacger. Elle est à double détente : d'abord Mgr Mignot n'est pas le seul à avoir soutenu Loisy ; ensuite il a été dupé comme d'autres par l'exégète.
Certes, Mgr Mignot est intervenu pour prendre la défense de Loisy soit auprès du public catholique français soit même auprès du pape, mais il n'était pas le seul évêque 80 à avoir cette attitude et il a même reçu l'aide de cardinaux, par exemple le cardinal Mathieu en 1901 quand il s'efforçait d'empêcher une condamnation.
De même il s'est obstiné à garantir le loyalisme sacerdotal de Loisy, là aussi il n'était pas seul. Le baron von Hügel s'en portait aussi garant. L'un et l'autre étaient assurés que Loisy ne tarderait pas à dissiper "les nuages amoncelés autour de son nom" et à s'incliner "avec respect devant les décisions de l'autorité religieuse".
Il ne faut pas chercher bien loin l'explication de ce soutien étonnant : tous ces hommes ont été victime du double jeu de Loisy, ce sont des dupes. A propos de L'Évangile et l'Église, Rivière écrit : "Tout le destinait à faire des dupes, et les dupes au début ne se comptèrent pas. Ceux dont l'esprit, parce que plus éclairé, risquait de s'ouvrir à quelques scrupules, trouvaient aussi maintes raisons générales de se rassurer. 81 " Dupes sur les dispositions intimes de Loisy qui a avoué en 1913 dans Choses passées qu'il avait perdu la foi dès 1896, dupes sur le programme développé dans L'Évangile et l'Église enveloppé qu'il était de "toutes sortes d'habiletés, de dissimulations, d'équivoques et de sous-entendus" 82 .
Sur le moment l'explication parut suffisante. Peu de voix s'élevèrent pour mettre en doute sa pertinence, nous y reviendrons. Elle avait pour elle la simplicité et l'apparence de la logique. La publication des Mémoires de Loisy - qui sont pour une part une réponse au livre de l'abbé Rivière 83 - va toutefois obliger les gardiens de la mémoire de l'archevêque d'Albi à approfondir l'argumentation.
Le Modernisme..., p. 161, n. 1.
Dans sa lettre du 6 mai l'abbé de Lacger avait directement interrogé Loisy sur ce point : "Julien de Narfon a écrit dans le Figaro que, avant de publier L'Évangiles et l'Église vous en aviez soumis le manuscrit à l'archevêque d'Albi. On a contesté ici la matérialité du fait. Seule votre affirmation peut trancher le débat". (BN, Papiers Loisy, Naf 15658, ff. 264-265). La réponse de Loisy ne figure pas dans les archives d'Albi. Mais le 20 mai l'abbé de Lacger écrit de nouveau à Loisy pour le remercier de lui "avoir fait connaître (ses) richesses" - les lettres dont Loisy ne juge pas "venue l'heure de la divulgation" - et pour "le fragment de correspondance que vous voulez bien me transcrire en réponse à ma question..." (Id., Naf 15658,ff.266-268). Il s'agit vraisemblablement d'un extrait de la lettre du 17 septembre 1902 qui accompagnait le renvoi du manuscrit de L'Evangile et l'Église à Loisy..
"Quelques évêques prirent même la plume pour rassurer le public au sujet de M. Loisy et, sous le bénéfice de très indulgentes restrictions, attester la pureté de sa vie et la rectitude de ses intentions", Le Modernisme..., p. 181. Mais outre Mignot, l'abbé Rivière ne peut citer que Mgr Lacroix...
Le Modernisme..., p. 167.
L. Saltet, compte rendu du livre de l'abbé Rivière in R.H.E.F., t. XVII, 1931, p. 88. "La pensée de Loisy s'exprimait et se balançait en des formules d'une savante complexité, qui permettait de ne pas apercevoir ses tendances profondes..." écrit de son côté J. Rivière dans l'article "Modernisme" du D.T.C., X, col. 2026.
C'était en tout cas l'opinion de l'abbé Bremond . Cf lettre de l'abbé Birot à l'abbé de Lacger, juin 1931, ADA, 1 D 5-13.