1. Le temps des remises en question (1865-1871)

1.1 Les premiers pas dans la carrière.

1.1.1 Professeur à Notre-Dame de Liesse.

Ordonné prêtre à Arras le 15 septembre 1865, l'abbé Mignot arrive dès le lendemain à Notre-Dame de Liesse, petite ville d'un peu moins de 1200 habitants à l'époque, et lieu d'un pèlerinage ancien en l'honneur de la Vierge pour y célébrer sa première messe.

Il s'étend peu dans ses souvenirs sur ce premier ministère, comme professeur de 5ème au petit séminaire. Les quelques notations éparses laissent entrevoir qu'il y voit rétrospectivement un des moments les plus heureux de sa carrière. "Mon séjour à Liesse fut consolant pour moi et de quelque utilité pour les autres... plusieurs de mes élèves m'ont conservé un souvenir de très fidèle attachement et s'imaginent me devoir ce qu'ils sont. La vie s'y passait comme en famille dans une grande intimité avec les élèves qui généralement nous regardaient comme des parents et des amis..." 403 Le sentiment qu'il a connu là une certaine plénitude intellectuelle et spirituelle s'exprime dans l'une de ses remarques désabusées qui émaillent ses souvenirs : "Ma vraie vocation eût été de rester professeur toute ma vie" 404 , et s'adressant à ses prêtres à l'occasion de son jubilé sacerdotal il dira : "Là, j'ai goûté les plus douces joies de ma jeunesse sacerdotale... C'est à Notre-Dame de Liesse que j'ai gardé le souvenir religieux le plus cher" 405 .

Les souvenirs de l'abbé Berriot qui fut alors un de ses élèves permettent de nuancer quelque peu ce que la mémoire oublie ou embellit. Il semble d'abord que le jeune professeur était mal à l'aise devant les méthodes du supérieur, particulièrement dans le domaine de l'éducation religieuse. M. Godet avait, en ce domaine, plusieurs sujets favoris d'exhortation : le saint silence, la tiédeur et par dessus tout, les risques de communion sacrilège : "Il y a eu un traître sur douze apôtres, aimait-il répéter aux élèves. Nous sommes ici cent soixante, alors comptez". Et l'abbé Berriot de conclure : "Si quelqu'un souffrait d'entendre ces théories exagérées, c'était bien M. Mignot". D'autre part les qualités pédagogiques de l'abbé Mignot ne semblent pas avoir beaucoup frappé son ancien élève. Il garde le souvenir d'un professeur qui avait des connaissances étendues, mais dont "l'enseignement manquait d'entrain : les cours étaient bien ternes et on y bavardait à l'aise". En revanche c'était un confesseur apprécié bien qu'il ne "manquât pas de fermeté dans la direction" 406 .

Dès cette époque, il fait preuve du souci de se tenir informé des débats intellectuels. Il demande à M. Le Hir son avis sur la Revue des deux Mondes. Celui-ci lui en déconseille la lecture: "Vous pouvez employer votre temps plus utilement, lui écrit-il. Vous y verriez des articles de politique, de littérature, de philosophie, etc., tout imbus de l'esprit terne, sceptique, mondain, souvent matérialiste qui règne dans notre atmosphère, jamais une théorie sérieuse développée..." 407 On ne sait pas si l'abbé Mignot prit très au sérieux cet éreintage, car en l'occasion le grand savant fait preuve d'une opinion bien peu fondée : il avoue ne lire la revue que depuis six mois et encore seulement… la table des matières. S'il ne devint pas lecteur de la revue à Notre-Dame de Liesse, il n'allait pas tarder à la découvrir.

Notes
403.

1er Reg., f° 65.

404.

1er Reg., f° 90.

405.

Collection des lettres pastorales, Lettre n° 49, 1915, p. 6.

406.

Abbé Berriot, Notes et souvenirs, ADA, 1D 5 15.

407.

Lettre du 2 février 1868, ADA, 1 D 5-01.